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les officiers deputez par le Prince, pour visiter l’estat de ses prouinces, comme ils punissent ceux, qui maluersent en leur charge, ils remunerent aussi de pure liberalité, ceux qui s’y sont bien portez outre la commune sorte, et outre la necessité de leur deuoir : on s’y presente, non pour se garantir seulement, mais pour y acquerir ny simplement pour estre payé, mais pour y estre estrené.Nul iuge n’a encore, Dieu mercy, parlé à moy comme iuge, pour quelque cause que ce soit, ou mienne, ou tierce, ou criminelle, ou ciuile. Nulle prison m’a receu, non pas seulement pour m’y promener. L’imagination m’en rend la veuë mesme du dehors, desplai— ! sante. Ie suis si affady apres la liberté, que qui me deffendroit l’accez de quelque coin des Indes, i’en viurois aucunement plus mal à mon aise. Et tant que ie trouueray terre, ou air ouuert ailleurs, ie ne croupiray en lieu, où il me faille cacher. Mon Dieu, que mal pourroy-ie souffrir la condition, où ie vois tant de gens, clouez à vn quartier de ce royaume, priuez de l’entrée des villes principales, et des courts, et de l’vsage des chemins publics, pour auoir querellé nos loix. Si celles que ie sers, me menassoient seulement le bout du doigt, ie m’en irois incontinent en trouuer d’autres, où que ce fust. Toute ma petite prudence, en ces guerres ciuiles où nous sommes, s’employe à ce, qu’elles n’interrompent ma liberté d’aller et venir.Or les loix se maintiennent en credit, non par ce qu’elles sont iustes, mais par ce qu’elles sont loix. C’est le fondement mystique de leur authorité elles n’en ont point d’autre. Qui bien leur sert. Elles sont souuent faictes par des sots. Plus souuent par des gens, qui en haine d’equalité ont faute d’equité. Mais tousiours par des hommes, autheurs vains et irresolus. Il n’est rien si lourdement, et largement fautier, que les loix : ny si ordinairement. Quiconque leur obeit par ce qu’elles sont iustes, ne leur obeyt pas iustement par où il doit. Les nostres Françoises, prestent aucunement la main, par leur desreiglement et deformité, au desordre et corruption, qui se voit en leur dispensation, et execution. Le commandement est si trouble, et inconstant, qu’il excuse aucunement, et la desobeissance, et le vice de l’interpretation, de l’administration, et de l’obseruation. Quel que soit donq le fruict que nous pouuons auoir de l’experience, à peine seruira beaucoup à nostre institu-