Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/610

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de nos actions, qui sont en perpetuelle mutation, auec les loix fixes et immobiles. Les plus desirables, ce sont les plus rares, plus simples, et generales. Et encore crois-ie, qu’il vaudroit mieux n’en auoir point du tout, que de les auoir en tel nombre que nous auons.Nature les donne tousiours plus heureuses, que ne sont celles que nous nous donnons. Tesmoing la peinture de l’aage doré des poètes et l’estat où nous voyons viure les nations, qui n’en ont point d’autres. En voila, qui pour tous iuges, employent en leurs causes, le premier passant, qui voyage le long de leurs montaignes. Et ces autres, eslisent le iour du marché, quelqu’vn d’en— tr’eux, qui sur le champ decide tous leurs proces. Quel danger y auroit-il, que les plus sages vuidassent ainsi les nostres, selon les occurrences, et à l’œil ; sans obligation d’exemple, et de consequence ? À chaque pied son soulier. Le Roy Ferdinand, enuoyant des colonies aux Indes, prouueut sagement qu’on n’y menast aucuns escholiers de la iurisprudence de crainte, que les proces ne peuplassent en ce nouueau monde. Comme estant science de sa nature, generatrice d’altercation et diuision, iugeant auec Platon, que c’est vne mauuaise prouision de païs, que iurisconsultes, et medecins.Pourquoy est-ce, que notre langage commun, si aisé à tout autre vsage, deuient obscur et non intelligible, en contract et testament et que celuy qui s’exprime si clairement, quoy qu’il die et escriue, ne trouue en cela, aucune maniere de se declarer, qui ne tombe en doute et contradiction ? Si ce n’est, que les Princes de cet art s’appliquans d’vne peculiere attention, à trier des mots solemnes, et former des clauses artistes, ont tant poisé chasque syllabe, espluché si primement chasque espece de cousture, que les voila enfrasquez et embrouillez en l’infinité des figures, et si menuës partitions qu’elles ne peuuent plus tomber soubs aucun reglement et prescription, ny aucune certaine intelligence. Confusum est quid-quid vsque in puluerem sectum est. Qui a veu des enfans, essayans de renger à certain nombre, vne masse d’argent vif : plus ils le pressent et pestrissent, et s’estudient à le contraindre à leur loy,