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Comme au rebours, i’ay leu par fois entre deux beaux yeux, des menasses d’vne nature maligne et dangereuse. Il y a des physionomies fauorables : et en vne presse d’ennemis victorieux, vous choisirez incontinent parmy des hommes incogneus, I’vn plustost que l’autre, à qui vous rendre et fier vostre vie : et non proprement par la consideration de la beauté.C’est vne foible garantie que la mine, toutesfois elle a quelque consideration. Et si i’auois à les foyter, ce seroit plus rudement, les meschans qui dementent et trahissent les promesses que Nature leur auoit plantées au front. Ie punirois plus aigrement la malice, en vne apparence debonnaire. Il semble qu’il y ait aucuns visages heureux, d’autres malencontreux. Et crois, qu’il y a quelque art, à distinguer les visages debonnaires des niais, les seueres des rudes, les malicieux des chagrins, les desdaigneux des melancholiques, et telles autres qualitez voisines. Il y a des beautez, non fieres seulement, mais aigres : il y en a d’autres douces, et encores au delà, fades. D’en prognostiquer les auantures futures, ce sont matieres que ie laisse indecises.I’ay pris, comme i’ay dict ailleurs, bien simplement et cruement, pour mon regard, ce precepte ancien : Que nous ne sçaurions faillir à suiure Nature que le souuerain precepte, c’est de se conformer à elle. Ie n’ay pas corrigé comme Socrates, par la force de la raison, mes complexions naturelles : et n’ay aucunement troublé par art, mon inclination. Ie me laisse aller, comme ie suis venu. Ie ne combats rien. Mes deux maistresses pieces viuent de leur grace en paix et bon accord : mais le laict de ma nourrice a esté, Dieu mercy, mediocrement sain et temperé. Diray-ie cecy en passant : que ie voy tenir en plus de prix qu’elle ne vaut, qui est seule quasi en vsage entre nous, certaine image de preud’hommie scholastique, serue des preceptes, contraincte soubs l’esperance et la crainte ? le l’aime telle que loix et religions, non facent, mais parfacent, et au— thorisent qui se sente dequoy se soustenir sans aide : née en nous de ses propres racines, par la semence de la raison vniuerselle, empreinte en tout homme non desnaturé. Cette raison, qui redresse Socrates de son vicieux ply, le rend obeïssant aux hommes et aux Dieux, qui commandent en sa ville : courageux en la mort,