plus qu’à la facilité des mœurs de mes ancêtres et des miennes ; qu’arriverait-il en effet, si j’étais autre ? Ma conduite et ma franchise dans mes rapports avec mes voisins leur créent, ainsi qu’à ma parenté, des obligations à mon égard ; il est cruel qu’il leur soit loisible de satisfaire à ces obligations en consentant à me laisser vivre, et qu’ils puissent dire : « La liberté de continuer la célébration du service divin dans la chapelle de sa maison, alors que nous avons rendu désertes[1] et ruiné toutes les églises d’alentour, est une concession de notre part ; nous lui concédons encore l’usage de ses biens et de la vie en retour de ce que lui-même, à l’occasion, veille à la conservation de nos femmes et de nos bœufs. » Voilà longtemps en effet que, dans ma famille, nous méritons ces mêmes louanges qu’à Athènes, on donnait à Lycurgue qui était le dépositaire et le gardien habituel des bourses de ses concitoyens. — Or, j’estime que la vie est pour nous un droit que nous tenons d’en haut, et qu’elle ne saurait être ni une récompense, ni une grâce qu’on nous octroie ; que de nobles gens ont préféré la perdre, que d’en être redevables à autrui ! Je cherche à me soustraire à toute obligation quelle qu’elle soit, mais surtout à celles qui peuvent résulter d’un devoir d’honneur ; je ne trouve rien de si onéreux que ce qui me vient par don, et lie ma volonté par la gratitude à laquelle cela m’oblige. J’accepte plus volontiers les services qui se vendent ; je le crois bien pour ceux-ci je n’ai que de l’argent à donner, pour les autres je me donne moi-même.
Il se considère comme absolument lié par ses engagements ; la reconnaissance lui est lourde, aussi tient-il pour avantageux de se trouver délivré, par leurs mauvais procédés à son égard, de son attachement envers certaines personnes. — L’honnêteté me lie, ce me semble, bien plus étroitement et plus sûrement que ne le fait la contrainte légale ; les obligations contractées devant notaire, me pèsent moins que celles contractées par moi-même : n’est-il pas rationnel, en effet, que ma conscience se trouve d’autant plus engagée qu’on s’est tout simplement fié à elle ? Là où elle n’est pas intéressée, elle ne doit rien, puisque ce n’est pas à elle que l’on s’est adressé ; qu’on recoure à la confiance sur laquelle on a compté, aux assurances qu’on a prises en dehors de moi. Il me coûterait beaucoup moins de franchir pour m’évader les murs d’une prison, et de me mettre en opposition avec les lois, que de violer ma parole. Je suis scrupuleux observateur de mes promesses, au point d’en être superstitieux ; aussi, quand je le puis, je n’en fais guère, à quelque propos que ce soit, que de vagues et de conditionnelles. Celles mêmes qui sont sans importance bénéficient de la règle que je me suis imposée ; elles sont pour moi un tourment, et ce m’est un soulagement de leur donner satisfaction. De même, quand j’ai en tête quelque projet que j’ai formé et ai toute liberté à cet égard ; si j’en dis l’objet, je considère que cela seul me constitue une obligation de l’accomplir, et qu’en faire part à autrui, c’est prendre un engage-
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