iuge sainement, et seurement : il vse à toutes mains, des propres exemples, ainsi que de chose estrangere : et tesmoigne franchement de luy, comme de chose tierce. Il faut passer par dessus ces regles populaires, de la ciuilité, en faueur de la verité, et de la liberté. l’ose non seulement parler de moy : mais parler seulement de moy. Ie fouruoye quand l’escry d’autre chose, et me desrobe à mon subiect. Ie ne m’ayme pas si indiscretement, et ne suis si attaché et meslé à moy, que ie ne me puisse distinguer et considerer à quartier comme vn voysin, comme vn arbre. C’est pareillement faillir, de ne veoir pas iusques où on vaut, ou d’en dire plus qu’on n’en void. Nous deuons plus d’amour à Dieu, qu’à nous, et le cognoissons moins, et si en parlons tout nostre saoul.Si ses escrits rapportent aucune chose de ses conditions : c’estoit vn grand personnage, droicturier, et courageux, non d’vne vertu superstitieuse, mais philosophique et genereuse. On le pourra trouuer hardy en ses tesmoignages. Comme où il tient, qu’vn soldat portant vn fais de bois, ses mains se roidirent de froid, et se collerent à sa charge, si qu’elles y demeurerent attachees et mortes, s’estants departies des bras. l’ay accoustumé en telles choses, de plier soubs l’authorité de si grands tesmoings.Ce qu’il dit aussi, que Vespasian, par la faueur du Dieu Serapis, guarit en Alexandrie vne femme aueugle, en luy oignant les yeux de sa saliue : et ie ne sçay quel autre miracle : il le fait par l’exemple et deuoir de tous bons historiens. Ils tiennent registres des euenements d’importance. Parmy les accidens publics, sont aussi les bruits et opinions populaires. C’est leur rolle, de reciter les communes creances, non pas de les regler. Cette part touche les theologiens, et les philosophes directeurs des consciences. Pourtant tres-sagement, ce sien compagnon et grand homme comme luy : Equidem plura transcribo quam credo : nam nec affirmare sustineo de quibus dubito, nec subducere quæ accepi : et l’autre : Hæc neque affirmare neque refellere operæ pretium est : famæ rerum standum est. Et escriuant en vn siecle, auquel la creance des prodiges commençoit à diminuer, il dit ne vouloir pourtant laisser d’inserer en ses annales, et donner pied à chose receuë de tant de gens de bien, et auec si grande reuerence de l’antiquité. C’est tresbien dict. Qu’ils nous rendent l’histoire, plus selon qu’ils reçoyuent, que se-
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