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et m’exercent. Nous fuyons la correction, il s’y faudroit presenter et produire notamment quand elle vient par forme de conference, non de regence. À chasque opposition, on ne regarde pas si elle est iuste, mais, à tort, ou à droit, comme on s’en deffera. Au lieu d’y tendre les bras, nous y tendons les griffes. Ie souffrirois estre rudement heurté par mes amis, Tu és vn sot, tu resues. I’ayme entre les galans hommes, qu’on s’exprime courageusement que les mots aillent où va la pensee. Il nous faut fortifier l’ouye, et la durcir, contre cette tendreur du son ceremonieux des parolles. I’ayme vne societé, et familiarité forte, et virile : vne amitié, qui se flatte en l’aspreté et vigueur de son commerce : comme l’amour, és morsures et esgratigneures sanglantes. Elle n’est pas assez vigoureuse et genereuse, si elle n’est querelleuse si elle est ciuilisee et artiste : si elle craint le heurt, et a ses allures contreintes. Neque enim disputari sine reprehensione potest. Quand on me contrarie, on esueille mon attention, non pas ma cholere : ie m’auance vers celuy qui me contredit, qui m’instruit. La cause de la verité, deuroit estre la cause commune à l’vn et à l’autre. Que respondra-il ? la passion du courroux luy a desia frappé le iugement : le trouble s’en est saisi, auant la raison. Il seroit vtile, qu’on passast par gageure, la deci— sion de nos disputes : qu’il y eust vne marque materielle de nos pertes : affin que nous en tinssions estat, et que mon valet me peust dire : Il vous cousta l’annee passee cent escus, à vingt fois, d’auoir esté ignorant et opiniastre. Ie festoye et caresse la verité en quelque main que ie la trouue, et m’y rends alaigrement, et luy tends mes armes vaincues, de loing que ie la vois approcher. Et pourueu qu’on n’y procede d’vne troigne trop imperieusement magistrale, ie prens plaisir à estre reprins. Et m’accommode aux accusateurs, souuent plus, par raison de ciuilité, que par raison d’amendement : aymant à gratifier et à nourrir la liberté de m’aduertir, par la facilité de ceder.Toutesfois il est malaisé d’y attirer les hommes de mon temps. Ils n’ont pas le courage de corriger, par ce qu’ils n’ont pas le courage de souffrir à l’estre. Et parlent tousiours auec dissimulation, en presence les vns des autres. Ie prens si grand plaisir d’estre iugé et cogneu, qu’il m’est comme indifferent, en quelle des deux formes ie le soys. Mon imagination se contredit elle mesme si souuent, et condamne, que ce m’est tout vn, qu’vn autre le face :