Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/342

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me poussent et rehaussent au dessus de moy-mesmes. Et l’vnisson, est qualité du tout ennuyeuse en la conference. Mais comme nostre esprit se fortitie par la communication des esprits vigoureux et reglez, il ne se peut dire, combien il perd, et s’abastardit, par le continuel commerce, et frequentation, que nous auons auec les esprits bas et maladifs. Il n’est contagion qui s’espande comme celle-là. Ie scay par assez d’experience, combien en vaut l’aune. l’ayme à contester, et à discourir, mais c’est auec peu d’hommes, et pour moy. Car de seruir de spectacle aux grands, et faire à l’enuy parade de son esprit, et de son caquet, ie trouue que c’est vn mestier tres-messeant à vn homme d’honneur.La sottise est vne mauuaise qualité, mais de ne la pouuoir supporter, et s’en despiter et ronger, comme il m’aduient, c’est vne autre sorte de maladie, qui ne doit guere à la sottise, en importunité. Et est ce qu’à present ie veux accuser du mien. l’entre en conference et en dispute, auec grande liberté et facilité d’autant que l’opinion trouue en moy le terrein mal propre à y penetrer, et y pousser de hautes racines. Nulles propositions m’estonnent, nulle creance me blesse, quelque contrarieté qu’elle aye à la mienne. Il n’est si friuole et si extrauagante fantasie, qui ne me semble bien sortable à la production de l’esprit humain. Nous autres, qui priuons nostre iugement du droict de faire des arrests, regardons mollement les opinions diuerses et si nous n’y prestons le iugement, nous y prestons aysement l’oreille. Où l’vn plat est vuide du tout en la balance, ie laisse vaciller l’autre, sous les songes d’vne vieille. Et me semble estre excusable, si i’accepte plustost le nombre impair : le ieudy au prix du vendredy si ie m’aime mieux douziesme ou quatorziesme, que treiziesme à table : si ie vois plus volontiers vn liéure costoyant, que trauersant mon chemin, quand ie voyage et donne plustost le pied gauche, que le droict, à chausser. Toutes telles reuasseries, qui sont en credit autour de nous, meritent aumoins qu’on les escoute. Pour moy, elles emportent seulement l’inanité, mais elles l’emportent. Encores sont en poids, les opinions vulgaires et casuelles, autre chose, que rien, en nature. Et qui ne s’y laisse aller iusques là, tombe à l’auanture au vice de l’opiniastreté, pour cuiter celuy de la superstition.Les contradictions donc des iugemens, ne m’offencent, ny m’alterent : elles n’esueillent seulement