Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/340

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retombe, et m’y arreste plus souuent. Mais quand tout est compté, on ne parle iamais de soy, sans perte. Les propres condemnations sont tousiours accreues, les louanges mescruës. Il en peut estre aucuns de ina complexion, qui n’instruis mieux par contrarieté que par similitude et par fuite que par suite. À cette sorte de discipline regardoit le vieux Caton, quand il dict, que les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols des sages. Et cet ancien ioueur de lyre, que Pausanias recite, auoir accoustumé contraindre ses disciples d’aller ouyr vn mauuais sonneur, qui logeoit vis à vis de luy : où ils apprinssent à hayr ses desaccords et fauces mesures. L’horreur de la cruauté me reiecte plus auant en la clemence, qu’aucun patron de clemence ne me sçauroit attirer. Vn bon escuyer ne redresse pas tant mon assiete, comme fait vn procureur, ou vn Venitien à cheual. Et vne mauuaise façon de langage, reforme mieux la mienne, que ne fait la bonne. Tous les iours la sotte contenance d’vn autre, m’aduertit et n’aduise. Ce qui poincte, touche et esueille mieux, que ce qui plaist. Ce temps est propre à nous amender à reculons, par disconuenance plus que par conuenance ; par difference, que par accord. Estant peu apprins par les bons exemples, ie me sers des mauuais : desquels la leçon est ordinaire. le me suis efforcé de me rendre autant aggreable comme i’en voyoy de fascheux aussi ferme, que i’en voyoy de mols : aussi doux, i’en voyoy d’aspres aussi bon, que i’en voyoy de meschants. Mais ie me proposoy des mesures inuincibles.Le plus fructueux et naturel exercice de nostre esprit, c’est à mon gré la conference. T’en trouue l’vsage plus doux, que d’aucune autre action de nostre vie. Et c’est la raison pourquoy, si i’estois à cette heure forcé de choisir, ie consentirois plustost, ce crois-ie, de perdre la veue, que l’ouyr ou le parler. Les Atheniens, et encore les Romains, conseruoient en grand honneur cet exercice en leurs Academies. De nos— tre temps, les Italiens en retiennent quelques vestiges, à leur grand profit comme il se voit par la comparaison de nos entendemens aux leurs. L’estude des liures, c’est vn mouuement languissant et foible qui n’eschauffe point : là où la conference, apprend et exerce en vn coup. Si ie confere auec vne ame forte, et vn roide iousteur, il me presse les flancs, me picque à gauche et à dextre : ses imaginations eslancent les miennes. La ialousie, la gloire, la contention,