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mort, et deschargée des menasses, conclusions et consequences, dequoy la medecine nous enteste. Mais l’effect mesme de la douleur, n’a pas cette aigreur si aspre et si poignante, qu’vn homme rassis en doiue entrer en rage et en desespoir. I’ay aumoins ce profit de la cholique, que ce que ie n’auoy encore peu sur moy, pour me concilier du tout, et m’accointer à la mort, elle le parfera car d’autant plus elle me pressera, et importunera, d’autant moins me sera la mort à craindre. I’auoy desia gaigné cela, de ne tenir à la vie, que par la vie seulement : elle desnouëra encore cette intelligence. Et Dieu vueille qu’en fin, si son aspreté vient à sur— monter mes forces, elle ne me reiette à l’autre extremité non moins vitieuse, d’aymer et desirer mourir.

Summum nec metuas diem, nec optes.

Ce sont deux passions à craindre, mais l’vne a son remede bien plus prest que l’autre.Au demeurant, i’ay tousiours trouué ce precepte ceremonieux, qui ordonne si exactement de tenir bonne contenance et vn maintien desdaigneux, et posé, à la souffrance des maux. Pourquoy la philosophie, qui ne regarde que le vif, et les effects, se va elle amusant à ces apparences externes ? Qu’elle laisse ce soing aux farceurs et maistres de rhetorique, qui font tant d’estat de nos gestes. Qu’elle condone hardiment au mal, cette lascheté voyelle, si elle n’est ny cordiale, ny stomacale et preste ses pleintes volontaires au genre des souspirs, sanglots, palpitations, pallissements, que Nature a mis hors de nostre puissance. Pourueu que le courage soit sans effroy, les parolles sans desespoir, qu’elle se contente. Qu’importe que nous tordions nos bras, pourueu que nous ne tordions nos pensées ? elle nous dresse pour nous, non pour autruy, pour estre, non pour sembler. Qu’elle s’arreste à gouuerner nostre entendement, qu’elle a pris à instruire. Qu’aux efforts de la cholique, elle maintienne l’ame capable de se recognoistre, de suyure son train accoustumé : combatant la douleur et la soustenant, non se prosternant honteusement à ses pieds : esmeuë et eschauffée du combat, non abatue et renuersée capable d’entretien et d’autre occupation, iusques à certaine mesure. En acci dents si extremes, c’est cruauté de requerir de nous vne démarche si composée. Si nous auons beau icu, c’est peu que nous ayons mauuaise mine. Si le corps se soulage en se plaignant, qu’il le face : si l’agitation luy plaist, qu’il se tourneboule et tracasse à sa