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grande forêt ombreuse, et d’y làcher, comme le fit un jour l’empereur Probus, mille autruches, mille cerfs, mille sangliers, mille daims, et d’en abandonner la chasse au peuple ; d’y faire, le lendemain, assommer en sa présence cent lions de forte taille, cent léopards, trois cents ours ; et le troisième jour, y faire combattre à outrance trois cents paires de gladiateurs. — C’était aussi bien beau à voir, ces vastes amphithéâtres aux parois extérieures incrustées de marbre, sculptées, garnies de statues, et dont l’intérieur brillait sous la richesse des décorations somptueuses dont il était paré : « Vois le pourtour du théâtre orné de pierres précieuses et son portique tout reluisant d’or (Calpurnius). » Sur tout le pourtour du grand vide qu’enfermait cette enceinte, depuis le bas jusqu’au faîte, régnaient soixante ou quatre-vingts rangées de gradins, également en marbre et garnis de sièges sur lesquels cent mille personnes pouvaient prendre place et y être à l’aise : « Qu’il s’en aille, dit-il, s’il a quelque pudeur, et quitte les sièges destinés aux chevaliers, lui qui ne paye pas le cens fixé par la loi (Juvénal). » — Dans le cours d’une même journée, c’était d’abord les parois de la partie du fond où avaient lieu les jeux, qui s’entr’ouvraient ingénieusement, et des crevasses se formaient, représentant des antres d’où se précipitaient les animaux destinés au spectacle ; puis la scène se transformait en une mer profonde qui recélait force monstres marins et portait des vaisseaux armés pour la représentation d’une bataille navale ; un troisième changement survenait ensuite, l’arène se vidait et se desséchait pour les combats de gladiateurs ; enfin, le sol, au lieu de gravier, était sablé de vermillon et de storax et on y dressait un festin magnifique auquel prenait part toute cette foule immense, ce qui constituait le dernier acte de la journée : « Que de fois avons-nous vu une partie de l’arène s’abaisser, et de l’abîme entr’ouvert surgir tout à coup des bêtes féroces et toute une forêt d’arbres d’or à l’écorce de safran. Non seulement j’ai vu dans nos amphithéâtres les monstres des forêts, mais aussi des phoques au milieu des combats d’ours et le hideux troupeau des chevaux marins (Calpurnius). » — Quelquefois, c’était une haute montagne couverte d’arbres fruitiers et d’arbres verts, qu’on y élevait du sommet s’échappait, comme de l’orifice d’une source vive, de l’eau qui s’écoulait en ruisseau. Parfois, on y faisait se mouvoir un grand navire, dont les flancs s’ouvraient, se disjoignaient d’eux-mêmes, et quatre à cinq cents fauves en bondissaient, qui se battaient entre eux tandis que le navire se refermait et disparaissait de lui-même. D’autres fois, on faisait jaillir du sol des jets d’eau odoriférante qui, projetée à une hauteur considérable, retombait en vapeur, arrosant et embaumant toute cette multitude en nombre infini. — Pour abriter contre les intempéries, on tendait au-dessus de cette immense enceinte, soit des voiles de pourpre brodés à l’aiguille, soit des étoffes de soie teintes d’une couleur ou d’une autre, qu’on déployait ou qu’on repliait en un instant, suivant que l’idée en prenait : « Bien qu’un soleil brûlant