Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/92

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et digne de loüange : mais celuy qui picqué et outré iusques au vif d’vne offence, s’armeroit des armes de la raison contre ce furieux appetit de vengeance, et apres vn grand conflict, s’en rendroit en fin maistre, feroit sans doubte beaucoup plus. Celuy-là fcroit bien, et cestuy-cy vertueusement : l’vne action se pourroit dire bonté, l’autre vertu. Car il semble que le nom de la vertu presuppose de la difficulté et du contraste, et qu’elle ne peut s’exercer sans partie. C’est à l’auenture pourquoy nous nommons Dieu bon, fort, et liberal, et iuste, mais nous ne le nommons pas vertueux. Ses operations sont toutes naïfues et sans effort.Des philosophes non seulement Stoiciens, mais encore Epicuriens (et cette enchere ie l’emprunte de l’opinion commune, qui est fauce, quoy que die ce subtil rencontre d’Arcesilaus, à celuy qui luy reprochoit, que beaucoup de gents passoient de son eschole en l’Epicurienne, et iamais au rebours le croy bien. Des coqs il se fait des chappons assez, mais des chappons il ne s’en fait iamais des coqs. Car à la vérité en fermeté et rigueur d’opinions et de preceptes, la secte Epicurienne ne cede aucunement à la Stoique. Et vn Stoicien reconnoissant meilleure foy, que ces disputateurs, qui pour combattre Epicurus, et se donner beau ieu, luy font dire ce à quoy il ne pensa iamais, contournans ses paroles à gauche, argumentans par la loy grammairienne, autre sens de sa façon de parler, et autre creance, que celle qu’ils sçauent qu’il auoit en l’ame, et en ses mœurs, dit qu’il a laissé d’estre Epicurien, pour cette consideration entre autres, qu’il trouue leur route trop hautaine et inaccessible et ij qui φιλήδονοι vocantur, sunt φιλόχαλοι et φιλοδίκαιοι, omnésque virtutes et colunt, et retinent). Des philosophes Stoiciens et Epicuriens, dis-ie, il y en a plusieurs qui ont iugé, que ce n’estoit pas assez d’auoir l’ame en bonne assiette, bien reglée et bien disposée à la vertu : ce n’estoit pas assez d’auoir nos resolutions et nos discours, au dessus de tous les efforts de Fortune : mais qu’il falloit encore rechercher les occasions d’en venir à la preuue : ils veulent quester de la douleur, de la necessité, et du mespris, pour les combattre, et pour tenir leur ame en haleine multum sibi adijcit virtus lacessita.C’est l’vne des raisons, pourquoy Epaminondas, qui estoit encore d’vne tierce secte, refuse des richesses que la Fortune luy met en main, par vne voye tres-legitime : pour auoir, dit-il, à s’escrimer contre la pauureté, en laquelle extreme il se maintint tousiours. Socrates s’essayoit, ce me semble, encor plus rudement, conseruant pour son exercice, la malignité de sa femme, qui est vn essay à fer