Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée

encore telle chose pour ne la sçauoir dire en bon Latin ou François Qu’ils estalent hardiment leur eloquence et leur discours : qu’ils iugent à leur poste, mais qu’ils nous laissent aussi dequoy iuger apres eux : et qu’ils n’alterent ny dispensent par leurs racourcimens et par leur choix, rien sur le corps de la matiere : ains qu’ils nous la r’enuoyent pure et entiere en toutes ses dimensions.Le plus souuent on trie pour cette charge, et notamment en ces siecles icy, des personnes d’entre le vulgaire, pour cette seule consideration de sçauoir bien parler comme si nous cherchions d’y apprendre la grammaire et eux ont raison n’ayans esté gagez que pour cela, et n’ayans mis en vente que le babil, de ne se soucier aussi principalement que de cette partie. Ainsin à force de beaux mots ils nous vont patissant vne belle contexture des bruits, qu’ils ramassent és carrefours des villes. Les seules bonnes Histoires sont celles, qui ont esté escrites par ceux mesmes qui commandoient aux affaires, ou qui estoient participans à les conduire, ou au moins qui ont eu la fortune d’en conduire d’autres de mesme sorte. Telles sont quasi toutes les Grecques et Romaines. Car plusieurs tesmoings oculaires ayans escrit de mesme subiect (comme il aduenoit en ce temps là, que la grandeur et le sçauoir se rencontroient communement) s’il y a de la faute, elle doit estre merueilleusement legere, et sur vn accident fort doubteux. Que peut on esperer d’vn medecin traictant de la guerre, ou d’vn escholier traictant les desseins des Princes ? Si nous voulons remerquer la religion, que les Romains auoient en cela, il n’en faut que cet exemple : Asinius Pollio trouuoit és histoires mesme de Cæsar quelque mesconte, en quoy il estoit tombé, pour n’auoir peu ielter les yeux en tous les endroits de son armée, et en auoir creu les particuliers, qui luy rapportoient souuent des choses non assez verifiées, ou bien pour n’auoir esté assez curieusement aduerty par ses lieutenans des choses, qu’ils auoient conduites en son absence. On peut voir par là, si cette recherche de la verité est delicate, qu’on ne se puisse pas fier d’vn combat à la science de celuy, qui y a commandé ; ny aux soldats, de ce qui s’est passé pres d’eux, si à la mode d’vne information iudiciaire, on ne confronte les tesmoins, et reçoit les obiects sur la preuue des ponctilles, de chaque accident. Vrayement la connoissance que nous auons de nos affaires est bien plus lasche. Mais cecy a esté suffisamment traicté par Bodin, et selon una conception.Pour