Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/80

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mesme, estouffans par trop sa matiere ? Et de pleindre le temps que met à ces longues interlocutions vaines et preparatoires, vn homme, qui auoit tant de meilleures choses à dire ? Mon ignorance m’excusera mieux, sur ce que ie ne voy rien en la beauté de son langage. Ie demande en general les liures qui vsent des sciences, non ceux qui les dressent. Les deux premiers, et Pline, et leurs semblables, ils n’ont point de Hoc age, ils veulent auoir à faire à gens qui s’en soyent aduertis eux mesmes : ou s’ils en ont, c’est vn, Hoc age, substantiel et qui a son corps à part.Ie voy aussi volontiers les Epistres ad Atticum, non seulement par ce qu’elles contiennent vne tresample instruction de l’Histoire et affaires de son temps mais beaucoup plus pour y descouurir ses humeurs priuées. Car i’ay vne singuliere curiosité, comme i’ay dict ailleurs, de connoistre l’ame et les naïfs iugemens de mes autheurs. Il faut bien iuger leur suffisance, mais non pas leurs mœurs, ny eux par cette montre de leurs escris, qu’ils étalent au theatre du monde. l’ay mille fois regretté, que nous ayons perdu le liure que Brutus auoit escrit de la vertu : car il fait bel apprendre la theorique de ceux qui scauent bien la practique. Mais d’autant que c’est autre chose le presche, que le prescheur : i’ayme bien autant voir Brutus chez Plutarque, que chez luy-mesme. Ie choisiroy plustost de sçauoir au vray les deuis qu’il tenoit en sa tente, à quelqu’vn de ses priuez amis, la veille d’vne bataille, que les propos qu’il tint le lendemain à son armée : et qu’il faisoit en son cabinet et en sa chambre, que ce qu’il faisoit emmy la place et, au Senat.Quant à Cicero, ie suis du iugement commun, que hors la science, il n’y auoit pas beaucoup d’excellence en son ame : il estoit bon citoyen, d’vne nature debonnaire, comme sont volontiers les hommes gras, et gosseurs, tel qu’il estoit, mais de mollesse et de vanité ambitieuse, il en auoit sans mentir beaucoup. Et si ne sçay comment l’excuser d’auoir estimé sa poësie digne d’estre mise en lumiere. Ce n’est pas grande imperfection, que de mal faire des vers, mais c’est imperfection de n’auoir pas senty combien ils estoyent indignes de la gloire de son nom. Quant à son eloquence, elle est du tout hors de comparaison, ie croy que iamais homme ne l’egalera. Le ieune Cicero, qui n’a ressemblé son pere que de nom, commandant en Asie, il se trouua vn iour en sa table plusieurs estrangers, et entre autres Cæstius assis au bas bout, comme on se fourre souuent aux tables ouuertes des grands : Cicero s’informa qui il estoit à l’vn de ses gents, qui luy dit son nom : mais comme celuy qui