Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/78

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esmeut, cestuy-cy vous contente d’auantage, et vous paye mieux : il nous guide, l’autre nous pousse.Quant à Cicero, les ouurages, qui me peuuent seruir chez luy à mon desseing, ce sont ceux qui traittent de la philosophie, specialement morale. Mais à confesser hardiment la verité (car puis qu’on a franchi les barrieres de l’impudence, il n’y a plus de bride) sa façon d’escrire me semble ennuyeuse : et toute autre pareille façon. Car ses prefaces, definitions, partitions, etymologies, consument la plus part de son ouurage. Ce qu’il y a de vif et de moüelle, est estouffé par ces longueries d’apprets. Si i’ay employé vne heure à le lire, qui est beaucoup pour moy, et que ie r’amentoiue ce que i’en ay tiré de suc et de substance, la plus part du temps ie n’y treuue que du vent : car il n’est pas encor venu aux argumens, qui seruent à son propos, et aux raisons qui touchent proprement le neud que ie cherche. Pour moy, qui ne demande qu’à deuenir plus sage, non plus sçauant ou cloquent, ces ordonnances logiciennes et Aristoteliques ne sont pas à propos. Ie veux qu’on commence par le dernier poinct i’entens assez que c’est que mort, et volupté, qu’on ne s’amuse pas à les anatomizer. Ie cherche des raisons bonnes et fermes, d’arriuée, qui m’instruisent à en soustenir l’effort. Ny les subtilitez grammairiennes, ny l’ingenieuse contexture de parolles et d’argumentations, n’y seruent. Ie veux des discours qui donnent la premiere charge dans le plus fort du doubte : les siens languissent autour du pot. Ils sont bons pour l’escole, pour le barreau, et pour le sermon, où nous auons loisir de sommeiller : et sommes encores vn quart d’heure apres, assez à temps, pour en retrouuer le fil. Il est besoin de parler ainsin aux iuges, qu’on veut gaigner à tort ou à droit, aux enfans, et au vulgaire, à qui il faut tout dire, et voir ce qui portera. Ie ne veux pas qu’on s’employe à me rendre attentif, et qu’on me crie cinquante fois, Or oyez, à la mode de nos heraux. Les Romains disoyent en leur religion, Hoc age : que nous disons en la nostre, Sursum corda, ce sont autant de parolles perdues pour moy. I’y viens tout preparé du logis : il ne me faut point d’alechement, ny de saulse : ie mange bien la viande toute crue : et au lieu de m’esguiser l’appetit par ces preparatoires et auant-ieux, on me le lasse et affadit. La licence du temps m’excusera elle de cette sacrilege audace, d’estimer aussi trainans les dialogismes de Platon