Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

sont de si haute leçon, auoir besoin de s’enfariner le visage, se trauestir, se contrefaire en mouuemens de grimaces sauuages, pour nous apprester à rire. Cette mienne conception se reconnoist mieux qu’en tout autre lieu, en la comparaison de l’Eneide et du Furieux. Celuy-là on le voit aller à tire d’aisle, d’vn vol haut et ferme, suyuant tousiours sa poincte : cestuy-cy voleter et sauteler de conte en conte, comme de branche en branche, ne se frant à ses aisles, que pour vne bien courte trauerse : et prendre pied à chasque bout de champ, de peur que l’haleine et la force luy faille,

Excursúsque breues tentat.

Voyla donc quant à cette sorte de subiects, les autheurs qui me plaisent le plus.Quant à mon autre leçon, qui mesle vn peu plus de fruit au plaisir, par où i’apprens à renger mes opinions et conditions, les liures qui m’y scruent, c’est Plutarque, dépuis qu’il est François, et Seneque. Ils ont tous deux cette notable commodité pour mon humeur, que la science que i’y cherche, y est traictée à pieces décousues, qui ne demandent pas l’obligation d’vn long trauail, dequoy ie suis incapable. Ainsi sont les Opuscules de Plutarque et les Epistres de Seneque, qui sont la plus belle partie de leurs escrits, et la plus profitable. Il ne faut pas grande entreprinse pour m’y mettre, et les quitte où il me plaist. Car elles n’ont point de suite et dependance des vnes aux autres. Ces autheurs se rencontrent en la plus part des opinions vtiles et vrayes : comme aussi leur fortune les fit naistre enuiron mesme siecle : tous deux precepteurs de deux Empereurs Romains tous deux venus de pays estranger : tous deux riches et puissans. Leur instruction est de la cresme de la philosophie, et presentée d’vne simple façon et pertinente. Plutarque est plus vniforme et constant : Seneque plus ondoyant et diuers. Cettuy-cy se peine, se roidit et se tend pour armer la vertu contre la foiblesse, la crainte, et les vitieux appetis : l’autre semble n’estimer pas tant leur effort, et desdaigner d’en haster son pas et se mettre sur sa garde. Plutarque a les opinions Platoniques, douces et accommodables à la societé ciuile : l’autre les a Stoïques et Epicurienes, plus esloignées de l’vsage commun, mais selon moy plus commodes en particulier, et plus fermes. Il paroist en Seneque qu’il preste vn peu à la tyrannie des Empereurs de son temps : car ie tiens pour certain, que c’est d’vn iugement forcé, qu’il condamne la cause de ces genereux meurtriers de Cæsar : Plutarque est libre par tout. Seneque est plein de pointes et saillies, Plutarque de choses. Celuy là vous eschauffe plus, et vous