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n’estime pas tant sa femme ou vn sien amy, que d’en allonger sa vie, et qui s’opiniastre à mourir, il est trop delicat et trop mol : il faut que l’ame se commande cela, quand l’vtilité des nostres le requiert il faut par fois nous prester à noz amis : et quand nous voudrions mourir pour nous, interrompre nostre dessein pour eux. C’est tesmoignage de grandeur de courage, de retourner en la vie pour la consideration d’autruy, comme plusieurs excellens personnages ont faict et est vn traict de bonté singuliere, de conseruer la vieillesse, (de laquelle la commodité la plus grande, c’est la nonchalance de sa durée, et vn plus courageux et desdaigneux vsage de la vie,) si on sent que cet office soit doux, aggreable, et profitable à quelqu’vn bien affectionné. Et en reçoit on vne tresplaisante recompense : car qu’est-il plus doux, que d’estre si cher à sa femme, qu’en sa consideration, on en deuienne plus cher à soy-mesme ? Ainsi ma Paulina m’a chargé, non seulement sa crainte, mais encore la mienne. Ce ne m’a pas esté assez de considerer, combien resolument ie pourrois mourir, mais i’ay aussi consideré, combien irresoluement elle le pourroit souffrir. Ie me suis contrainct a viure, et c’est quelquefois magnanimité que viure. Voyla ses mots excellens, comme est son vsage.