Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/648

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le premier. Et nostre bon Catulle, qui l’auoit testonné si rudement sous le nom de Mamurra, s’en estant venu excuser à luy, il le fit ce iour mesme soupper à sa table. Ayant esté aduerty d’aucuns qui parloient mal de luy, il n’en fit autre chose, que declarer en vne sienne harangue publique, qu’il en estoit aduerly. Il craignoit encore moins ses ennemis, qu’il ne les haissoit. Aucunes coniurations et assemblees, qu’on faisoit contre sa vie, luy ayants esté descouuertes, il se contenta de publier par edit qu’elles luy estoient cognuës, sans autrement en poursuyure les autheurs. Quant au respect qu’il auoit à ses amis Caius Oppius voyageant auec luy, et se trouuant mal, il luy quitta vn seul logis qu’il y auoit, et coucha toute la nuict sur la dure et au descouuert. Quant à sa iustice, il fit mourir vn sien seruiteur, qu’il aimoit singulierement, pour auoir couché auecques la femme d’vn cheualier Romain, quoy que personne ne s’en plaignist. Iamais homme n’apporta, ny plus de moderation en sa victoire, ny plus de resolution en sa fortune contraire.Mais toutes ces belles inclinations furent altérées et estouffées, par cette furieuse passion ambitieuse : à laquelle il se laissa si fort emporter, qu’on peut aisément maintenir, qu’elle tenoit le timon et le gouuernail de toutes ses actions. D’vn homme liberal, elle en rendit vn voleur publique, pour fournir à cette profusion et largesse, et luy fit dire ce vilain et tresiniuste mot, que si les plus meschans et perdus hommes du monde, luy auoyent esté fidelles, au seruice de son agrandissement, il les cheriroit et auanceroit de son pouuoir, aussi bien que les plus gens de bien l’enyura d’vne vanité si extreme, qu’il osoit se vanter en presence de ses concitoyens, d’auoir rendu cette grande Republique Romaine, vn nom sans forme et sans corps et dire que ses responces deuoyent meshuy seruir de loix et receuoir assis, le corps du Senat venant vers luy et souffrir qu’on l’adorast, et qu’on luy fist en sa presence des honneurs diuins. Somme, ce seul vice, à mon aduis, perdit en luy le plus beau, et le plus riche naturel qui fut onques et a rendu sa memoire abominable à tous les gens de bien, pour auoir voulu chercher sa gloire de la ruyne de son païs, et subuersion de la plus puissante, et fleurissante chose publique que le monde verra iamais. Il se pourroit bien au contraire, trouuer plusieurs exemples de grands personnages, ausquels la volupté a faict oublier la conduicte de leurs affaires, comme Marcus Antonius, et autres mais où l’amour et l’ambition seroient en esgale balance, et viendroient à se cloquer de forces pareilles, ie ne fay aucun doubte, que ceste-cy ne gaignast le prix de la maistrise.Or pour me remettre sur mes bri-