devenir le gendre d’un homme qui avait séduit sa femme et que lui-même qualifiait souvent du nom d’Egisthe. Outre celles que je viens d’énumérer, César eut encore pour maîtresse Servilia, sœur de Caton et mère de Marcus Brutus, et chacun croyait que la grande affection qu’il portait à ce dernier avait pour cause sa naissance à une époque qui pouvait donner à supposer qu’il était de lui. J’ai donc raison, ce semble, de le tenir comme excessivement porté à ce genre de débauche et de tempérament très amoureux ; et cependant, quand la passion de l’ambition, dont il était également possédé à un degré infini, venait à se trouver en opposition avec la précédente, celle-ci lui cédait immédiatement le pas.
A ce propos, me revient en mémoire le cas de Mahomet qui subjugua Constantinople et y mit définitivement fin à la domination grecque. Je ne sais personne chez qui ces deux passions se soient trouvées, comme en lui, peser d’un poids aussi égal. Il était aussi robuste athlète en amour qu’à la guerre ; mais chaque fois que dans le cours de son existence elles se sont fait concurrence, son ardeur pour les combats l’a toujours emporté sur son ardeur pour l’amour ; et il en a été ainsi jusqu’à ce qu’arrivé à une extrême vieillesse et devenu incapable de supporter les fatigues de la vie des camps, sa passion pour la femme, reprenant le dessus, régna dès lors en maître chez lui, bien que la saison marquée par la nature en fût passée.
D’autres au contraire ont fait céder l’ambition à l’amour. — Ce qu’on raconte de Ladislas, roi de Naples, est un exemple remarquable du contraire ; il était bon capitaine, courageux et ambitieux, mais son ambition avait surtout pour objet principal la satisfaction de ses appétits voluptueux et la possession de quelque rare beauté. Sa mort fut conforme à sa vie. Par un siège bien conduit, il avait serré de si près la ville de Florence, que ses habitants, aux abois, furent réduits à traiter. Il leur offrit de se retirer et d’abondonner ainsi le fruit de sa victoire, sous condition qu’on lui livråt une fille de la ville, d’une éclatante beauté, dont il avait entendu parler. Force fut d’accéder à sa volonté et, pour préserver la cité de la ruine dont elle était menacée, d’accepter cette injure, dont ne devaient souffrir que des intérêts privés. Cette beauté était la fille d’un médecin fameux à cette époque, qui, devant une si pénible nécessité, prit une résolution des plus énergiques. Tandis que chacun parait sa fille, la couvrant de dentelles et de bijoux pour la rendre plus agréable encore à cet amant qui se présentait dans des conditions si particulières, son père, se joignant aux autres, lui fit cadeau d’un mouchoir d’un travail exquis, exhalant un parfum délicieux, dont elle aurait à faire usage lors de leurs premiers embrassements, cet objet étant de ceux dont les femmes n’oublient guère d’user en pareil cas pour éponger les parties intéressées. Ce mouchoir était empoisonné ; le médecin avait appporté à sa préparation toute la science de son art ; à son contact avec les chairs échauffées et alors que les pores étaient dilatés, le poison les pé-