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tabliray des loix, et feray sentir, comme de raison, que la commodité particuliere doit ceder à la commune. Allez vous en ioyeusement où la necessité humaine vous appelle. C’est à moy, qui ne regarde pas I’vne chose plus que l’autre, qui autant que ie puis, me soingne du general, d’auoir soucy de ce que vous laissez.Reuenant à mon propos, il me semble en toutes façons, qu’il naist rarement des femmes à qui la maistrise soit deuë sur des hommes, sauf la maternelle et naturelle : si ce n’est pour le chastiment de ceux, qui par quelque humeur fiebureuse, se sont volontairement soubsmis à elles : mais cela ne touche aucunement les vieilles, dequoy nous parlons icy. C’est l’apparence de cette consideration, qui nous a faict forger et donner pied si volontiers, à cette loy, que nul ne veit onques, qui priue les femmes de la succession de cette couronne : et n’est guere Seigneurie au monde, où elle ne s’allegue, comme icy, par vne vraysemblance de raison qui l’authorise : mais la Fortune luy a donné plus de credit en certains lieux qu’aux autres. Il est dangereux de laisser à leur iugement la dispensation de nostre succession, selon le choix qu’elles feront des enfans, qui est à tous les coups inique et fantastique. Car cet appetit desreglé et goust malade, qu’elles ont au temps de leurs groisses, elles l’ont en l’ame, en tout temps. Communement on les void s’addonner aux plus foibles et malotrus, ou à ceux, si elles en ont, qui leur pendent encores au col. Car n’ayans point assez de force de discours, pour choisir et embrasser ce qui le vault, elles se laissent plus volontiers aller, où les impressions de Nature sont plus seules : comme les animaux qui n’ont cognoissance de leurs petits, que pendant qu’ils tiennent à leurs mammelles.Au demeurant il est aisé à voir par experience, que cette affection naturelle, à qui nous donnons tant d’authorité, a les racines bien foibles. Pour vn sort leger profit, nous arrachons tous les iours leurs propres enfans d’entre les bras des meres, et leur faisons prendre les nostres en charge : nous leur faisons abandonner les leurs à quelque chetiue nourrisse, à qui nous ne voulons pas commettre les nostres, ou à quelque cheure ; leur deffendant non seulement de les allaiter, quelque danger qu’ils en puissent encourir : mais encore d’en auoir aucun soin, pour s’employer du tout au seruice des nostres. Et voit-on en la plus part d’entre elles, s’engendrer bien tost par accoustumance vn’affection bastarde, plus vehemente