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gents qui se iouent de leurs testaments, comme de pommes ou de verges, à gratifier ou chastier chaque action de ceux qui y pretendent interest. C’est chose de trop longue suitte, et de trop de poids, pour estre ainsi promenée à chasque instant : et en laquelle les sages se plantent vne fois pour toutes, regardans sur tout à la raison et obseruance publique. Nous prenons vn peu trop à cœur ces substitutions masculines et proposons vne eternité ridicule à noz noms. Nous poisons aussi trop les vaines coniectures de l’aduenir, que nous donnent les esprits puerils. À l’aduenture eust on faict iniustice, de me deplacer de mon rang, pour auoir esté le plus lourd. et plombé, le plus long et desgousté en ma leçon, non seulement que tous mes freres, mais que tous les enfans de ma prouince : soit leçon d’exercice d’esprit, soit leçon d’exercice de corps. C’est follie de faire des triages extraordinaires, sur la foy de ces diuinations, ausquelles nous sommes si souuent trompez. Si on peut blesser cette regle, et corriger les destinées aux chois qu’elles ont faict de noz heritiers, on le peut auec plus d’apparence, en consideration de quelque remarquable et enorme difformité corporelle vice constant inamandable : et selon nous, grands estimateurs de la beauté, d’important preiudice.Le plaisant dialogue du legislateur de Platon, auec ses citoyens, fera honneur à ce passage. Comment donc, disent ils sentans leur fin prochaine, ne pourrons nous point disposer de ce qui est à nous, à qui il nous plaira ? Ô Dieux, quelle cruauté ! Qu’il ne nous soit loisible, selon que les nostres nous auront seruy en noz maladies, en nostre vieillesse, en noz affaires, de leur donner plus et moins selon noz fantasies ! À quoy le legislateur respond en cette maniere : Mes amis, qui auez sans doubte bien tost à mourir, il est mal-aisé, et que vous vous cognoissiez, et que vous cognoissiez ce qui est à vous, suiuant l’inscription Delphique. Moy, qui fay les loix, tien, que ny vous n’estes à vous, ny n’est à vous ce que vous iouyssez. Et voz biens et vous, estes à vostre famille tant passée que future : mais encore plus sont au public, et vostre famille et voz biens. Parquoy de peur que quelque flatteur en vostre vieillesse ou en vostre maladie, ou quelque passion vous sollicite mal à propos, de faire testament iniuste, ie vous en garderay. Mais ayant respect et à l’interest vniuersel de la cité, et à celuy de vostre maison, i’es-