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de peur qu’elles soyent moins traictables et recognoissantes, se trompent, de faire perdre quelque reelle commodité, pour vne si friuole coniecture. À vne femme desraisonnable, il ne couste non plus de passer par dessus vne raison, que par dessus vne autre. Elles s’ayment le mieux où elles ont plus de tort. L’iniustice les alleche : comme les bonnes, l’honneur de leurs actions vertueuses : et en sont debonnaires d’autant plus, qu’elles sont plus riches : comme plus volontiers et glorieusement chastes, de ce qu’elles sont belles.

C’est raison de laisser l’administration des affaires aux meres pendant que les enfans ne sont pas en l’aage selon les loix pour en manier la charge : mais le pere les a bien mal nourris, s’il ne peut esperer qu’en leur maturité, ils auront plus de sagesse et de suffisance que sa femme, veu l’ordinaire foiblesse du sexe. Bien seroit-il toutesfois à la verité plus contre Nature, de faire despendre les meres de la discretion de leurs enfans. On leur doit donner largement, dequoy maintenir leur estat selon la condition de leur maison et de leur aage, d’autant que la necessité et l’indigence est beaucoup plus mal seante et mal-aisée à supporter à elles qu’aux masles : il faut plustost en charger les enfans que la mere.En general, la plus saine distribution de noz biens en mourant, me semble estre, les laisser distribuer à l’vsage du païs. Les loix y ont mieux pensé que nous et vaut mieux les laisser faillir en leur eslection, que de nous hazarder de faillir temerairement en la nostre. Ils ne sont pas proprement nostres, puis que d’vne prescription ciuile et sans nous, ils sont destinez à certains successeurs. Et encore que nous ayons quelque liberté audelà, ie tien qu’il faut vne grande cause et bien apparente pour nous faire oster à vn, ce que sa Fortune luy auoit acquis, et à quoy la iustice commune l’appelloit : et que c’est abuser contre raison de cette liberté, d’en seruir noz fantasies friuoles et priuées. Mon sort m’a faict grace, de ne m’auoir presenté des occasions qui me peussent tenter, et diuertir mon affection de la commune et legitime ordonnance. I’en voy, enuers qui c’est temps perdu d’employer vn long soin de bons offices. Vn mot receu de mauuais biais efface le merite de dix ans. Heureux, qui se trouue à point, pour leur oindre la volonté sur ce dernier passage. La voisine action l’emporte, non pas les meilleurs et plus frequents offices, mais les plus recents et presents font l’operation. Ce sont