perdras, si tu le préfères ; mais je maintiendrai droite, quand même, la barre du gouvernail. » J’ai vu, en ces temps-ci, mille personnes souples, rusées, à double face, qui passaient incontestablement aux yeux de tous pour plus prudentes que je ne le suis quand il est question des affaires de ce monde, se perdre dans des circonstances où je me suis sauvé : « J’ai ri de voir que la ruse pouvait échouer (Ovide). » — Paul Émile, partant pour sa glorieuse expédition de Macédoine, recommanda par-dessus tout au peuple de Rome « de contenir, pendant son absence, sa langue sur ses opérations ». Quel trouble en effet, pour les affaires importantes, que la licence avec laquelle on les juge, sans compter que tout le monde n’a pas vis-à-vis des mouvements populaires, de l’opposition et des injures dont ils y sont l’objet, la fermeté de Fabius, qui préféra laisser démembrer son autorité au gré des fantaisies non motivées du peuple, que de ne pas satisfaire au mieux de ce qu’il estimait être du devoir de sa charge, alors qu’il devait y gagner en réputation et en même temps se concilier la foule.
On fait trop de cas de la louange et de la réputation ; notre juge le plus sûr, c’est nous-mêmes. — Il y a je ne sais quelle douceur naturelle à sentir qu’on vous loue ; mais nous en faisons beaucoup trop de cas : « Je ne hais pas la louange, car j’ai la fibre sensible ; mais jamais des « Très bien ! bravo ! » ne me paraîtront le terme et le but que l’on doive proposer à la vertu (Perse). » Je ne me soucie pas tant de ce que je puis être aux yeux des autres, que de ce que je suis à mes propres yeux ; je veux être riche par moi-même et non par le fait d’emprunts. Les étrangers ne voient, en ce qui nous touche, que les choses et apparences externes, mais chacun peut présenter bonne mine à l’extérieur et, à l’intérieur, être dévoré par la fièvre et l’effroi ; notre cœur ne se voit pas, notre contenance seule s’aperçoit. — On a raison de s’élever contre l’hypocrisie qui se produit à la guerre, car rien n’est plus aisé à un homme qui a de l’expérience, que de se dérober aux dangers et de faire le matamore, alors qu’il n’a que le cœur d’un lâche. Il y a tant de moyens d’éviter les occasions de s’exposer sérieusement que nous pouvons tromper mille fois le monde, avant de nous trouver dans l’impossibilité d’esquiver un mauvais pas ; et lors même que nous nous y trouverions empêtrés, nous saurions bien, pour une fois, faire contre fortune bon cœur et, bien qu’ayant la frayeur dans l’âme, montrer un visage et une parole assurés. Que de gens qui posséderaient l’anneau de Gygès conté par Platon, rendant invisible celui qui l’avait au doigt quand il en tournait le chaton à l’intérieur de la main, s’en serviraient pour se cacher à certains moments où il importe le plus de se montrer, regrettant de se trouver, par la situation si honorable qu’ils occupent, dans l’obligation d’avoir une contenance ferme et assurée : « Qui peut être sensible à de fausses louanges ou redoute la calomnie, si ce n’est un malhonnête homme ou un menteur (Horace) ? » Voilà pourquoi tous les jugements reposant sur des apparences extérieures sont émi-