nion émise par un auteur ancien : « Les supplices excitent au vice plutôt qu’ils ne le refrènent ; ils ne font pas qu’on s’applique à bien faire, cela est l’ouvre de la raison et du mode d’éducation ; on veille seulement avec plus de soin à n’être point surpris faisant le mal. » « Le mal qu’on croyait extirpé, gagne et s’étend plus loin (Rutilius). » J’ignore si cette assertion est exacte, mais ce que je sais par expérience, c’est que jamais les supplices n’ont changé l’état moral d’un peuple ; c’est de moyens autres que dépendent l’ordre et la régularité dans les mœurs.
Les historiens grecs font mention des Argippées, tribu voisine de la Scythie, qui vivaient sans avoir besoin de verges ni de bâton pour le maintien de l’ordre ; non seulement personne n’entreprenait d’aller les attaquer, mais quiconque pouvait se réfugier chez eux, y trouvait asile à cause de leur vertu et de la sainteté de leur vie, et nul n’eût osé porter la main sur lui. Les peuplades environnantes recouraient à eux pour trancher leurs différends. — Ils citent également une nation où les clôtures des jardins et des champs qu’on veut délimiter, se marquent avec un simple filet de coton qui, malgré sa fragilité, y constitue une barrière bien plus respectée et plus effective que nos fossés et nos haies : « Les serrures attirent les voleurs : celui qui vole avec effraction, n’entre pas dans les maisons ouvertes (Sénèque). »
Montaigne, au milieu des guerres civiles, a garanti sa maison de toute invasion en la laissant ouverte et sans défense. — Peut-être la facilité d’y pénétrer est-elle, entre autres choses, une des causes qui ont préservé ma maison des violences de la guerre civile. Se défendre fait songer à attaquer ; la défiance provoque l’offense. J’ai détourné les gens de guerre de l’idée de venir chez moi, en leur enlevant toute chance à courir et tout sujet d’acquérir de la gloire, ce qui d’habitude, à leurs yeux, justifie et excuse tous les excès. Ce qui demande du courage étant toujours tenu pour honorable dans les temps où la justice n’existe plus, j’ai fait en sorte que l’envahissement de ma maison soit un acte de lâcheté et de trahison. Elle n’est fermée pour personne qui vient y frapper ; il n’y a pour toute mesure de précaution qu’un portier, dressé aux usages et cérémonies des temps passés et qui ne sert pas tant à défendre la porte qu’à rendre l’accueil plus décent et plus avenant ; je n’ai d’autre garde et sentinelle que les astres. Un gentilhomme a tort de sembler vouloir être en mesure de faire résistance, si elle n’est[1] parfaitement organisée. Qui est accessible d’un côté, l’est de toutes parts ; nos pères n’eurent jamais l’idée de construire des places frontières. Les moyens de se rendre maître de nos maisons, même sans armée, ni canon, deviennent de jour en jour plus puissants et hors de proportion avec les progrès des moyens de défense ; c’est surtout l’idée d’envahir qui hante les esprits, elle intéresse tout le monde ; la défense à y opposer n’intéresse que les riches. — Ma maison présente assez de résistance pour l’époque à laquelle elle a été construite ; je n’y ai rien ajouté
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