Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/42

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ceu. Et quand la saison en est, on faict venir des lettres lointaines, piteuses, suppliantes, pleines de promesse de mieux faire, par où on le remet en grace. Monsieur fait-il quelque marché ou quelque depesche, qui desplaise ? on la supprime forgeant tantost apres, assez de causes, pour excuser la faute d’execution ou de response. Nulles lettres estrangeres ne luy estants premierement apportées, il ne void que celles qui semblent commodes à sa science. Si par cas d’aduanture il les saisit, ayant en coustume de se reposer sur certaine personne, de les luy lire, on y trouue sur le champ ce qu’on veut et faict-on à tous coups que tel luy demande pardon, qui l’iniurie par sa lettre. Il ne void en fin affaires, que par vne image disposée et desseignée et satisfactoire le plus qu’on peut, pour n’esueiller son chagrin et son courroux. I’ay veu souz des figures differentes, assez d’economies longues, constantes, de tout pareil effect.

Il est tousiours procliue aux femmes de disconuenir à leurs maris. Elles saisissent à deux mains toutes couuertures de leur contraster la premiere excuse leur sert de pleniere iustification. I’en ay veu, qui desrobboit gros à son mary, pour, disoit-elle à son confesseur, faire ses aulmosnes plus grasses. Fiez vous à cette religieuse dispensation. Nul maniement leur semble auoir assez de dignité, s’il vient de la concession du mary. Il faut qu’elles I’vsurpent ou finement ou fierement, et tousiours iniurieusement, pour luy donner de la grace et de l’authorité. Comme en mon propos, quand c’est contre vn pauure vieillard, et pour des enfants, lors empoignent elles ce tiltre, et en seruent leur passion, auec gloire : et comme en vn commun seruage, monopolent facilement contre sa domination et gouuernement. Si ce sont masles, grands et fleurissans, ils subornent aussi incontinent ou par force, ou par faueur, et maistre d’hostel et receueur, et tout le reste. Ceux qui n’ont ny femme ny fils, tombent en ce malheur plus difficilement, mais plus cruellement aussi et indignement. Le vieil Caton disoit en son temps, qu’autant de valets, autant d’ennemis. Voyez si selon la distance de la pureté de son siecle au nostre, il ne nous a pas voulu aduertir, que femme, fils, et valet, autant d’ennemis à nous. Bien sert à la decrepitude de nous fournir le doux benefice d’inapperceuance et d’ignorance, et facilité à nous laisser tromper. Si nous y mordions, que seroit-ce de nous ;