Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/308

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et le milieu et la fin, ce n’est que songe et fumée. A ceux qui combattent par presupposition, il leur faut presupposer au contraire, le mesme axiome, dequoy on debat. Car toute presupposition humaine, et toute enunciation, a autant d’authorité que l’autre, si la raison n’en faict la difference. Ainsin il les faut toutes mettre à la balance et premierement les generalles, et celles qui nous tyrannisent. La persuasion de la certitude, est vn certain tesmoignage de folie, et d’incertitude extreme. Et n’est point de plus folles gents, ny moins philosophes, que les Philodoxes de Platon. Il faut sçauoir si le feu est chault, si la neige est blanche, s’il y a rien de dur ou de mol en nostre cognoissance.Et quant à ces responses, dequoy il se fait des comtes anciens : comme à celuy qui mettoit en doubte la chaleur, à qui on dit qu’il se iettast dans le feu : à celuy qui nioit la froideur de la glace, qu’il s’en mist dans le sein : elles sont tres-indignes de la profession philosophique. S’ils nous eussent laissé en nostre estat naturel, receuans les apparences estrangeres selon qu’elles se presentent à nous par nos sens ; et nous eussent laissé aller apres nos appetits simples, et reglez par la condition de nostre naissance, ils auroient raison de parler ainsi. Mais c’est d’eux que nous auons appris de nous rendre iuges du monde : c’est d’eux que nous tenons cette fantasie, que la raison humaine est contrerolleuse generalle de tout ce qui est au dehors et au dedans de la voute celeste, qui embrasse tout, qui peut tout : par le moyen de laquelle tout se sçait, et cognoist. Cette response seroit bonne parmy les Canibales, qui iouyssent l’heur d’vne longue vie, tranquille, et paisible, sans les preceptes d’Aristote, et sans la cognoissance du nom de la physique. Cette response vaudroit mieux à l’aduenture, et auroit plus de fermeté, que toutes celles qu’ils emprunteront de leur raison et de leur inuention. De cette-cy seroient capables auec nous, tous les animaux, et tout ce, où le commandement est encor pur et simple de la loy naturelle : mais eux ils y ont renoncé. Il ne faut pas qu’ils me dient, il est vray, car vous le voyez et sentez ainsin : il faut qu’ils me dient, si ce que ie pense sentir, ie le sens pourtant en effect : et si ie le sens, qu’ils me dient apres pourquoy ie le sens, et comment, et quoy : qu’ils me dient le nom, l’origine, les tenans et aboutissans de la chaleur, du froid ; les qualitez de celuy qui agit, et de celuy qui souffre ou qu’ils me quittent leur profession, qui est de ne receuoir ny approuuer rien, que par la voye de la raison : c’est leur touche à toutes sortes d’essais. Mais certes c’est vne touche pleine de fauceté,