CHAPITRE VIII.
adame, si l’estrangeté ne me sauue, et la nouuelleté, qui ont
accoustume de donner prix aux choses, ie ne sors iamais à mon
honneur de cette sotte entreprinse : mais elle est si fantastique, et
a vn visage si esloigné de l’vsage commun, que cela luy pourra
donner passage. C’est vue humeur melancolique, et vne humeur par
consequent tres-ennemie de ma complexion naturelle, produite par
le chagrin de la solitude, en laquelle il y a quelques années que ie
m’estoy ietté, qui m’a mis premierement en teste cette resuerie de
me mesler d’escrire. Et puis me trouuant entierement des pourueu
et vuide de toute autre matiere, ie me suis presenté moy-mesmes à
moy pour argument et pour subiect. C’est le seul liure au monde
de son espece, et d’vn dessein farousche et extrauaguant. Il n’y a
rien aussi en cette besoigne digne d’estre remerqué que cette bizarrerie : car à vn subiect si vain et si vil, le meilleur ouurier du
monde n’eust sceu donner façon qui merite qu’on en face conte. Or
Madame, ayant à m’y pourtraire au vif, i’en eusse oublié vn traict
d’importance, si ic n’y eusse representé l’honneur, que i’ay tousiours
rendu à vos merites. Et l’ay voulu dire signamment à la teste de ce
chapitre, d’autant que parmy vos autres bonnes qualitez, celle de
l’amitié que vous auez montrée à vos enfans, tient l’vn des premiers
rengs. Qui sçaura l’aage auquel Monsieur d’Estissac vostre mari
vous laissa veufuc, les grands et honorables partis, qui vous ont esté
offerts, autant qu’à Dame de France de vostre condition, la constance et fermeté dequoy vous auez soustenu tant d’années et au trauers de tant d’espineuses difficultez, la charge et conduite de leurs
affaires, qui vous ont agitée par tous les coins de France, et vous
tiennent encores assiegée, l’heureux acheminement que vous y auez
donné, par vostre seule prudence ou bonne Fortune : il dira aisément auec moy, que nous n’auons point d’exemple d’affection ma-