cipiter dans la mer : ne pouvant atteindre à la science, il se donnait la mort. — Voici les termes mêmes de la loi que les Stoïciens posaient à ce sujet : « Si d’aventure survient quelque disgrâce à laquelle on ne peut apporter remède, le port est proche ; l’on peut se sauver à la nage en abandonnant son corps, comme d’une barque qui fait eau. C’est la peur de mourir et non le désir de vivre, qui fait que le fou est attaché à son corps. »
La simplicité et l’ignorance sont des conditions de vie heureuse. — La simplicité dans l’existence la rend plus agréable, et aussi plus innocente et meilleure, ainsi que je l’ai dit plus haut. Les simples et les ignorants, dit saint Paul, s’élèvent et gagnent le ciel ; nous, avec tout notre savoir, nous nous effondrons dans les abimes infernaux. — Je ne rappellerai ni Valens, ennemi déclaré des sciences et des lettres, ni Licinius, ces deux empereurs romains qui les tenaient pour le poison et la peste de tout état politique ; ni Mahomet qui, ai-je entendu dire, interdit la science à l’homme ; mais j’invoquerai l’exemple de Lycurgue. L’autorité de ce grand législaleur doit être d’un grand poids, comme aussi cette législation divine qui a droit à tous nos respects, qu’il avait donnée à Lacédémone, et qui, si grande et si admirable, y fit régner si longtemps la vertu et le bonheur, sans qu’y fussent admises la connaissance et la pratique des lettres. — Ceux de retour de ce monde nouveau, que les Espagnols ont découvert au temps de la génération qui nous a précédés, peuvent témoigner combien ces nations qui n’ont ni lois, ni magistrats, vivent mieux gouvernés et ordonnés que nous chez qui les fonctionnaires sont en plus grand nombre que ceux qui ne le sont pas, et où les lois outrepassent en nombre celui des actes à juger : « Ils ont les poches et les mains pleines d’ajournements, de requêtes, d’informations, de lettres de procuration et aussi de liasses de gloses, de consultations et de procédures. Avec de telles gens, les malheureux ne sont jamais en sûreté dans une ville ; ils sont assiégés par derrière, par devant, de tous côtés, par une foule de notaires, de procureurs et d’avocats (Arioste). »
Un sénateur romain des derniers siècles de l’empire exprimait cette même idée : « Nos prédécesseurs disait-il, exhalaient une forte odeur d’ail, mais avaient l’estomac parfumé par une bonne conscience, tandis qu’à notre époque, les gens répandent une agréable senteur, mais à l’intérieur c’est une odeur nauséabonde produite par la fermentation de tous les vices » ; autrement dit, suivant ma manière de voir, avec beaucoup de savoir et de capacité, ils manquaient totalement de conscience dans leur conduite. — Le manque d’éducation, l’ignorance, la simplicité d’esprit, la rudesse accompagnent d’ordinaire l’innocence ; la curiosité, la subtilité, le savoir trainent la malice à leur suite ; l’humilité, la crainte, l’obéissance, la bonté poussée jusqu’à la faiblesse, qui sont les basse essentielles sur lesquelles repose la conservation de la société humaine, sont le propre d’une âme vide, docile, présumant peu d’ell-emême.