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meurs à outrance qu’étaient les gladiateurs, portait : « Nous jurons de nous laisser enchaîner, brûler, frapper, tuer par le glaive, de souffrir tout ce que de loyaux gladiateurs sont exposés à endurer pour leur maître légitime, engageant solennellement notre corps et notre âme à son service. » « Brûle-moi la tête, si tel est ton bon plaisir ; transperce-moi le corps d’un glaive ou déchire-moi le dos à coups de fouet (Tibulle). » C’était bien une réelle obligation, et, certaines années, il y en avait plus de dix mille qui la contractaient et auxquels elle coûtait la vie. — Les Scythes, à la mort de leur roi, étranglaient sur son corps sa concubine favorite, son échanson, son écuyer, son chambellan, l’huissier préposé à la porte de sa chambre et son cuisinier. À l’anniversaire de sa mort, ils tuaient cinquante chevaux montés par cinquante pages empalés du bas du dos au gosier, les laissant en cet état, exposés autour de la tombe, pour glorifier le mort. — Les hommes qui se mettent à notre service, le font à meilleur marché et dans des conditions moins agréables et moins avantageuses que celles dans lesquelles sont nos oiseaux, nos chevaux et nos chiens, pour lesquels nous nous astreignons à bien des soucis, au point que le dernier de nos serviteurs ne ferait probablement pas pour son maitre ce que les princes s’honorent de faire pour ces bêtes. — Diogène, voyant ses parents en peine pour le racheter de la servitude, disait : « Ils sont fous ; celui-là qui m’entretient et me nourrit, me rend service. » Ceux qui entretiennent des bêtes, devraient dire également qu’ils en sont les serviteurs et non pas qu’ils s’en servent. — Les animaux ont encore ceci de plus généreux que nous, c’est que jamais, par manque de cœur, un lion ne s’est fait l’esclave d’un autre lion, ni un cheval d’un autre cheval.

Les animaux pratiquent la chasse comme fait l’homme, parfois de commun accord. — De même que nous allons à la chasse des bêtes, les tigres et les lions vont à la chasse de l’homme ; et, cet exercice, les animaux le pratiquent les uns par rapport aux autres : les chiens chassent le lièvre, les brochets les tanches, les hirondelles les cigales, les éperviers les merles et les alouettes : « La cigogne nourrit ses petits de serpents et de lézards trouvés dans les lieux sauvages ; l’aigle, ministre de Jupiter, chasse dans les forêts le lièvre et le chevreuil (Juvénal). » — Nous partageons le produit de nos chasses avec nos chiens et nos oiseaux qui sont avec nous à la peine et dont nous utilisons les qualités cynégétiques. — En Thrace, au delà d’Amphipolis, chasseurs et faucons sauvages partagent équitablement, par moitié, le gibier qu’ils prennent ; sur les bords du Palus Méotide, les loups auxquels le pêcheur ne laisse pas, de bonne foi, part égale de sa pêche, détruisent aussitôt ses filets. — Nous avons des chasses où il est plus fait emploi de l’adresse que de la force telles sont la chasse avec des collets, celle à la ligne armée d’hameçon ; les bêtes en pratiquent de semblables. Aristote dit que la Seiche projette de son corps un long boyau semblable à une ligne, qu’elle va déroulant sur un long parcours et qu’elle peut