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ESSAIS DE MONTAIGNE.

se vont reiettant, comme à toute superstition, à rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur : et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu’ils m’ont persuadé, qu’ainsi que c’est vn amusement d’esprits aiguz et oisifs, ceux qui sont duicts à ceste subtilité de les replier et desnouër, seroyent en tous escrits capables de trouuer tout ce qu’ils y demandent. Mais sur tout leur preste beau ieu, le parler obscur, ambigu et fantastique du iargon prophétique, auquel leurs autheurs ne donnent aucun sens clair, afin que la postérité y en puisse appliquer de tel qu’il luy plaira.Le démon de Socrates estoit à l’aduanture certaine impulsion de volonté, qui se presentoit à luy sans le conseil de son discours. En vne ame bien espuree, comme la sienne, et préparée par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblable que ces inclinations, quoy que téméraires et indigestes, estoyent tousiours importantes et dignes d’estre suiuies. Chacun sent en soy quelque image de telles agitations d’vne opinion prompte, véhémente et fortuite. C’est à moy de leur donner quelque authorité, qui en donne si peu à nostre prudence. Et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, qui estoit plus ordinaire à Socrates, ansquelles ie me laissay emporter si vtilement et heureusement, qu’elles pourroyent estre iugees tenir quelque chose d’inspiration diuine.

CHAPITRE XII.

De la constance.


La loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous deuions couurir, autant qu’il est en nostre puissance, des maux et inconueniens qui nous menassent, ny par conséquent d’auoir peur qu’ils nous surpreignent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis, mais louables. Et le ieu de la constance se iouë principalement à porter de pied ferme, les inconueniens où il n’y a point de remède. De manière qu’il n’y a souplesse de corps, ny mouuement aux armes de main, que nous trouuions mauuais, s’il sert à nous garantir du coup qu’on nous rue.Plusieurs nations tresbelliqueuses se ser-