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TRADUCTION. — LIV. I, CH. IV.

c’est pendant qu’on parlemente et qu’on semble prêts à tomber d’accord, que les surprises se pratiquent le plus ordinairement ; nous reconnaissons que c’est surtout dans ces moments, qu’un chef doit particulièrement avoir l’œil au guet ; et c’est pour cela qu’il est de règle, chez tous les hommes de guerre de notre temps, « que le gouverneur d’une place assiégée n’en sorte jamais pour parlementer ».

Nos pères ont fait reproche aux seigneurs de Montmord et de l’Assigny, défendant Pont-à-Mousson contre le comte de Nassau, d’avoir contrevenu à ce principe. — Par contre, celui-là serait excusable qui sortirait de sa place pour parlementer, mais seulement après avoir pris ses mesures pour, le cas échéant, n’avoir rien à redouter, et que tout incident pouvant se produire, tourne à son avantage. — Ainsi fit le comte Guy de Rangon, qui défendait la ville de Reggium : le seigneur de l’Écut s’étant présenté pour parlementer, Guy de Rangon s’éloigna si peu de la place, qu’une échauffourée s’étant produite pendant les pourparlers, non seulement M. de l’Écut et son escorte, dont était Alexandre Trivulce qui y fut tué, eurent le dessous, mais lui-même, pour sa propre sûreté, fut dans l’obligation d’entrer en ville avec le comte qui le prit sous sa sauvegarde. Ce fait est attribué par du Bellay au comte de Rangon ; Guicciardin, qui le rapporte également, se l’attribue à lui-même.

Antigone assiégeant Eumènes dans Nora et le pressant d’en sortir pour venir, en personne, parlementer avec lui, alléguant que c’était à lui, Eumènes, à venir le trouver, parce que lui, Antigone, était plus puissant et de rang plus élevé, s’attira cette noble réponse : « Je ne reconnaîtrai personne au-dessus de moi, tant que j’aurai la faculté d’user de mon épée. » Et il ne consentit à aller à lui que lorsque Antigone lui eut donné en otage Ptolémée, son propre neveu.

Exemple d’un cas où le gouverneur d’une place s’est bien trouvé de se fier à son adversaire. — Et cependant, il y en a qui se sont très bien trouvés, en pareille occurrence, d’être sortis en se fiant à la parole de leur adversaire ; témoin Henry de Vaux, chevalier de Champagne, qui était assiégé par les Anglais dans le château de Commercy. Barthélémy de Bonnes, qui les commandait, ayant, de l’extérieur, réussi à saper la majeure partie du château, et n’ayant plus qu’à y mettre le feu pour accabler les assiégés sous ses ruines, manda à Henry de Vaux, qui déjà lui avait envoyé trois parlementaires, de venir de sa personne, dans son propre intérêt. Celui-ci vint, et, ayant constaté par lui-même l’imminence de la catastrophe à laquelle il ne pouvait échapper, en sut profondément gré à son ennemi et se rendit à discrétion, lui et sa troupe ; le feu ayant alors été mis à la mine, les bois qui étançonnaient les murailles cédèrent et le château croula, ruiné de fond en comble.

Pour moi, j’ai assez facilement foi en autrui ; cependant je m’y