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ESSAIS DE MONTAIGNE.

de mettre son corps où ils aduiseront pour le mieux : et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Ie lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m’en remettray à la discrétion des premiers à qui ie tomberay en charge. Totiis hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. Et est sainctement dict à vn sainct : Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt viuorum solatia, quàm subsidia mortuorum. Pourtant Socrates à Criton, qui sur l’heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterré : Comme vous voudrez, respond-il. Si i’auois à m’en empescher plus auant, ie trouuerois plus galand, d’imiter ceux qui entreprennent viuans et respirans, iouyr de l’ordre et honneur de leur sepulture : et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resiouyr et gratifier leur sens par l’insensibilité, et viure de leur mort !À peu, que ie n’entre en haine irréconciliable contre toute domination populaire : quoy qu’elle me semble la plus naturelle et équitable : quand il me souuient de cette inhumaine iniustice du peuple Athenien : de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs défenses, ces braues Capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille naualle près les Isles Arginenses : la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces : par ce qu’après la victoire, ils auoient suiuy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s’arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette exécution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l’vn des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique : lequel se tirant auant pour parler, après auoir ouy l’arrest de leur condemnation, et trouuant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s’en seruir au bien de sa cause, et à descouurir l’euidente iniquité d’vne si cruelle conclusion, ne représenta qu’vn soin de la conseruation de ses iuges : priant les Dieux de tourner ce iugement à leur bien : et à fin que, par faute de rendre les vœux que luy et ses compagnons auoient voué, en recognoissance d’vne si illustre fortune, ils n’attirassent l’ire des Dieux sur eux, les aduertissant quels vœux c’estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s’achemina de ce pas courageusement au supplice.La fortune quelques