des mots par lesquels on l’a traduite. — J’aime un langage simple et naïf, écrit tel qu’on parle, qui soit substantiel, nerveux, bref, précis ; je le préfère véhément et brusque, plutôt que délicat et bien peigné : « Que l’expression frappe, elle plaira (Épitaphe de Lucain) » ; difficile plutôt qu’ennuyeux ; sans affectation, hardi, déréglé, décousu, chaque morceau faisant corps, plutôt que de sentir le pédant, le moine, l’orateur ; que ce soit le langage d’un soldat, pour me servir de l’expression par laquelle Suétone qualifie le style de Jules César, bien que je ne saisisse pas bien pourquoi il lui donne cette qualification.
J’ai volontiers imité les modes excentriques de nos jeunes gens dans le port de leurs vêtements : le manteau en écharpe, la cape sur une épaule, des bas mal étirés, par lesquels ils se donnent des airs de nonchalance artistique et de dédaigneuse fierté pour ces élégances si fort prisées à l’étranger ; semblable laisser aller dans la manière de parler, me plaît plus encore. Toute affectation, surtout dans la gaîté et la liberté de paroles telle qu’elle existe en France, messied à un courtisan, rôle auquel, dans une monarchie, tout gentilhomme doit être dressé ; par conséquent il est sage de ne trop faire le naïf et le méprisant. — Je n’aime pas les tissus dont la trame et les coutures sont visibles, de même qu’en un beau corps il ne faut pas qu’on puisse compter les os et les veines. « La vérité doit parler un langage simple et sans art ; quiconque parle avec affectation est sûr de causer du dégoût et de l’ennui (Sénèque). » L’éloquence qui attire par trop sur elle-même l’attention, porte préjudice aux sujets qu’elle traite. De même qu’en fait de toilette, c’est une faiblesse de vouloir se faire remarquer d’une façon particulière et inusitée, de même un langage dans lequel on affecte d’employer des tournures de phrases nouvelles et des mots d’un usage peu fréquent, témoigne de prétentions puériles[1] telles qu’on en voit chez les pédants. Que ne puis-je faire exclusivement emploi des expressions dont on use aux halles de Paris ! — Le grammairien Aristophane n’y entendait rien, quand il reprochait à Épicure la simplicité de son style, et à son discours sur l’art oratoire de se borner à prôner une clarté parfaite du langage. — Imiter quelqu’un dans sa manière de parler est chose facile, aussi les foules le peuvent-elles assez promptement ; l’imiter dans son jugement, dans sa fertilité d’imagination, ne va pas si vite. La plupart des lecteurs qui ont trouvé semblable robe, pensent très à tort qu’il leur suffit de la vêtir pour s’identifier avec celui auquel elle appartient ; la force et les nerfs ne s’empruntent pas ; on ne peut emprunter que la parure et le manteau ; la majeure partie des personnes qui me fréquentent, parlent comme je le fais dans ces Essais, mais je ne sais s’ils pensent de même. — Les Athéniens, dit Platon, parlent abondamment et avec élégance ; les Lacédémoniens sont brefs ; les Crétois ont l’imagination féconde plus que le langage, ce sont eux qui sont le mieux lotis. — Zénon disait que ses disciples étaient de deux sortes : les uns, qu’il nomme « philologues », désireux de
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