Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

tres-dignes d’estre sçeus : car à mon gré c’est le maistre ouurier de telle besongne : mais il y en a mille qu’il n’a que touché simplement : il guigne seulement du doigt par où nous irons, s’il nous plaist, et se contente quelquefois de ne donner qu’vne atteinte dans le plus vif d’vn propos. Il les faut arracher de là, et mettre en place marchande. Comme ce sien mot. Que les habitans d’Asie seruoient à vn seul, pour ne sçauoir prononcer vne seule syllable, qui est. Non, donna peut estre, la matière, et l’occasion à la Boetie, de sa Seruitude volontaire. Cela mesme de luy voir trier vne legiere action en la vie d’vn homme, ou vn mot, qui semble ne porter pas cela, c’est vn discours. C’est dommage que les gens d’entendement, ayment tant la briefueté : sans double leur réputation en vaut mieux, mais nous en valons moins. Plutarque ayme mieux que nous le vantions de son iugement, que de son sçauoir : il ayme mieux nous laisser désir de soy, que satiété. Il sçauoit qu’es choses bonnes mesmes on peut trop dire, et que Alexandridas reprocha iustement, à celuy qui tenoit aux Ephores des bons propos, mais trop longs : Ô estranger, tu dis ce qu’il faut, autrement qu’il ne faut. Ceux qui ont le corps gresle, le grossissent d’embourrures : ceux qui ont la matière exile, l’enflent de paroles.Il se tire vne merueilleuse clarté pour le iugement humain, de la fréquentation du monde. Nous sommes tous contraints et amonceliez en nous, et auons la veuë racourcie à la longueur de nostre nez. On demandoit à Socrates d’où il estoit, il ne respondit pas, d’Athènes, mais, du monde. Luy qui auoit l’imagination plus plaine et plus estanduë, embrassoit l’vniuers, comme sa ville, iettoit ses cognoissances, sa société et ses affections à tout le genre humain : non pas comme nous, qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gèlent en mon village, mon prebstre en argumente l’ire de Dieu sur la race humaine, et iuge que la pépie en tienne des-ia les Cannibales. À voir nos guerres ciuiles, qui ne crie que cette machine se bouleuerse, et que le iour du iugement nous prent au collet : sans s’auiser que plusieurs pires choses se sont veuës, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps cependant ? Moy, selon leur licence et impunité, admire de les voir si douces et molles. À qui il gresle sur la teste, tout l'he-