en degré, elle nous roule dans ce misérable estât, et nous y appriuoise. Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la ieunesse meurt en nous : qui est en essence et en vérité, vne mort plus dure, que n’est la mort entière d’vne vie languissante ; et que n’est la mort de la vieillesse : d’autant que le sault n’est pas si lourd du mal estre au non estre, comme il est d’vn estre doux et fleurissant, à vn estre pénible et douloureux. Le corps courbe et plié a moins de force à soustenir un fais, aussi a nostre ame. Il la faut dresser et esleuer contre l’effort de cet aduersaire. Car comme il est impossible, qu’elle se mette en repos pendant qu’elle le craint : si elle s’en asseure aussi, elle se peut vanter, qui est chose comme surpassant l’humaine condition, qu’il est impossible que l’inquiétude, le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle.
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida, neque Auster
Dux inquieli turbidus Adriæ,
Nec fulminantis magna louis manus.
Elle est renduë maistresse de ses passions et concupiscences ; maistresse
de l’indigence, de la honte, de la pauureté, et de toutes autres
iniures de fortune. Gagnons cet aduantage qui pourra : c’est icy la
vraye et souueraine liberté, qui nous donne dequoy faire la figue
à la force, et à l’iniustice, et nous moquer des prisons et des fers.
in manicis, et
Compedibus, sæuo te sub custode tenebo.
Ipse Deus simul atque volam, me soluet : opinor,
Hoc sentit, moriar : mors vltima linea rerum est.
Nostre religion n’a point eu de plus asseuré fondement humain,
que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison
nous y appelle ; car pourquoy craindrions nous de perdre vne
chose, laquelle perdue ne peut estre regrettée ? mais aussi puis que
nous sommes menacez de tant de façons de mort, n’y a il pas plus
de mal à les craindre toutes, qu’à en soustenir vne ? Que chaut-il,
quand ce soit, puis qu’elle est ineuitable ? À celuy qui disoit à
Socrates ; Les trente tyrans t’ont condamné à la mort : Et nature,
eux, respondit-il. Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du
passage à l’exemption de toute peine ? Comme nostre naissance
nous apporta la naissance de toutes choses : aussi fera la mort de
toutes choses, nostre mort. Parquoy c’est pareille folie de pleurer
de ce que d’icy à cent ans nous ne viurons pas, que de pleurer de
ce que nous ne viuions pas, il y a cent ans. La mort est origine
d’vne autre vie : ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il
d’entrer en cette-cy : ainsi nous despouillasmes nous de nostre
ancien voile, en y entrant. Rien ne peut estre grief, qui n’est qu’vne