Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 1.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
ESSAIS DE MONTAIGNE.

CHAPITRE XIII.

Cérémonie de l’entreueuë des rois.


Il n’est subiect si vain, qui ne mérite vn rang en cette rapsodie. À nos règles communes, ce seroit vne notable discourtoisie et à l’endroit d’vn pareil, et plus à l’endroit d’vn grand, de faillir à vous trouuer chez vous, quand il vous auroit aduerty d’y deuoir venir : Voire adioustoit la Royne de Nauarre Marguerite à ce propos, que c’estoit inciuilité à vn Gentil-homme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souuent, pour aller au deuant de celuy qui le vient trouuer, pour grand qu’il soit : et qu’il est plus respectueux et ciuil de l’attendre, pour le receuoir, ne fust que de peur de faillir sa route : et qu’il suffit de l’accompagner à son parlement. Pour moy i’oublie souuent l’vn et l’autre de ces vains offices : comme ie retranche en ma maison autant que ie puis de la cerimonie. Quelqu’vn s’en offence : qu’y ferois-ie ? Il vaut mieux que ie l’offence pour vne fois, que moy tous les iours : ce seroit vne subiection continuelle. À quoy faire fuit-on la seruitude des cours, si on l’entraîne iusques en sa tanière ? C’est aussi vne règle commune en toutes assemblées, qu’il touche aux moindres de se trouuer les premiers à l’assignation, d’autant qu’il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre.Toutesfois à l’entreueuë qui se dressa du Pape Clément, et du Roy François à Marseille, le Roy y ayant ordonné les apprests nécessaires, s’esloigna de la ville, et donna loisir au Pape de deux ou trois iours pour son entrée et refreschissement, auant qu’il le vinst trouuer. Et de mesmes à l’entrée aussi du Pape et de l’Empereur à Bouloigne, l’Empereur donna moyen au Pape d’y estre le premier et y suruint après luy. C’est, disent-ils, vne cerimonie ordinaire aux abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit auant les autres au lieu assigné, voire auant celuy chez qui se fait l’assemblée : et le prennent de ce biais, que c’est afin que cette apparence tesmoigne, que c’est le plus grand que les moindres vont trouuer, et le recherchent, non pas luy eux.Non seulement chasque païs,