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me tabula sacer
Votiva paries indicat uvida
Suspendisse potenti
Vestimenta maris Deo.

Il est à cette heure temps d’en parler ouvertement. Mais tout ainsi comme à un autre je dirois à l’avanture : Mon amy, tu resves ; l’amour, de ton temps, a peu de commerce avec la foy et la preud’hommie,


haec si tu postules
Ratione certa facere, nihilo plus agas,
Quam si des operam, ut cum ratione insanias :

aussi, au rebours, si c’estoit à moy à recommencer, ce seroit certes le mesme train et par mesme progrez, pour infructueux qu’il me peut estre. L’insuffisance et la sottise est louable en une action meslouable. Autant que je m’esloingne de leur humeur en cela, je m’approche de la mienne. Au demeurant, en ce marché, je ne me laissois pas tout aller ; je m’y plaisois, mais je ne m’y oubliois pas : je reservois en son entier ce peu de sens et de discretion que nature m’a donné, pour leur service et pour le mien ; un peu d’esmotion, mais point de resverie. Ma conscience s’y engageoit aussi, jusques à la desbauche et dissolution ; mais jusques à l’ingratitude, trahison, malignité et cruauté, non. Je n’achetois pas le plaisir de ce vice à tout pris, et me contentois de son propre et simple coust : Nullum intra se vitium est. Je hay quasi à pareille mesure une oysiveté croupie et endormie, comme un embesongnement espineux et penible. L’un me pince, l’autre m’assopit ; j’ayme autant les blesseures comme les meurtrisseures, et les coups trenchans comme les coups orbes. J’ay trouvé en ce marché, quand j’y estois plus propre, une juste moderation entre ces deux extremitez. L’amour est une agitation esveillée, vive et gaye ; je n’en estois ny troublé ny affligé,