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combien qui desirent la mort, ou qui la passent sans alarme et sans affliction ? Celuy là qui fouyt mon jardin, il a ce matin enterré son pere ou son fils. Les noms mesme de quoy ils appellent les maladies en adoucissent et amollissent l’aspreté : la phtisie c’est la tous pour eux ; la dysenterie, devoyement d’estomac ; un pleuresis, c’est un morfondement ; et selon qu’ils les nomment doucement, ils les supportent aussi. Elles sont bien griefves quand elles rompent leur travail ordinaire ; ils ne s’allitent que pour mourir. Simplex illa et aperta virtus in obscuram et solertem scientiam versa est. J’escrivois cecy environ le temps qu’une forte charge de nos troubles se croupit plusieurs mois, de tout son pois, droict sur moy. J’avois d’une part les ennemys à ma porte, d’autre part les picoreurs, pires ennemys : non armis sed vitiis certatur ; et essayois toute sorte d’injures militaires à la fois.

Hostis adest dextra levaque à parte timendus,
xxxxxxxx Vicinoque malo terret utrumque latus.

Monstrueuse guerre : les autres agissent au dehors ; cette-cy encore contre soy se ronge et se desfaict par son propre venin. Elle est de nature si maligne et ruineuse qu’elle se ruine quand et quand le reste, et se deschire et desmembre de rage. Nous la voyons plus souvent se dissoudre par elle mesme que par disette d’aucune chose necessaire, ou par la force ennemye. Toute discipline la fuyt. Elle vient guarir la sedition et en est pleine, veut chastier la desobeyssance et en montre l’exemple ; et, employée à la deffence des loix, faict sa part de rebellion à l’encontre des siennes propres. Où en sommes nous ? Nostre medecine porte infection,

Nostre mal s’empoisonne
Du secours qu’on luy donne.
xxxxxxxx exuperat magis aegrescitque medendo.
Omnia fanda, nefanda, malo permista furore,
Justificam nobis mentem avertere Deorum.

En ces maladies populaires, on peut distinguer sur le