Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

description, soit vraye ou fauce, cettuy-cy regarde le larrecin comme action des-honneste et le hayt, mais moins que l’indigence ; s’en repent bien simplement, mais, en tant qu’elle estoit ainsi contrebalancée et compencée, il ne s’en repent pas. Cela, ce n’est pas cette habitude qui nous incorpore au vice et y conforme nostre entendement mesme, ny n’est ce vent impetueux qui va troublant et aveuglant à secousses nostre ame, et nous precipite pour l’heure, jugement et tout, en la puissance du vice. Je fay coustumierement entier ce que je fay, et marche tout d’une piece ; je n’ay guere de mouvement qui se cache et desrobe à ma raison, et qui ne se conduise à peu pres par le consentement de toutes mes parties, sans division, sans sedition intestine : mon jugement en a la coulpe ou la louange entiere ; et la coulpe qu’il a une fois, il l’a tousjours, car quasi dés sa naissance il est un : mesme inclination, mesme route, mesme force. Et en matiere d’opinions universelles, dés l’enfance je me logeay au poinct où j’avois à me tenir. Il y a des pechez impetueux, prompts et subits : laissons les à part. Mais en ces autres pechez à tant de fois reprins, deliberez et consultez, ou pechez de complexion, voire pechez de profession et de vacation, je ne puis pas concevoir qu’ils soient plantez si long temps en un mesme courage sans que la raison et la conscience de celuy qui les possede, le veuille constamment et l’entende ainsi ; et le repentir qu’il se vante luy en venir à certain instant prescript, m’est un peu dur à imaginer et former. Je ne suy pas la secte de Pythagoras, que les hommes prennent une ame nouvelle quand ils approchent les simulacres des Dieux pour receuillir leurs oracles. Si non qu’il voulust dire cela mesme, qu’il faut bien qu’elle soit estrangere, nouvelle et prestée pour le temps : la leur montrant si peu de signe de purification et netteté condigne à cet office. Ils font tout à l’opposite des preceptes Stoiques, qui nous ordonnent bien de corriger les imperfections et vices que nous reconnoissons en nous, mais nous deffendent d’en estre marris et desplaisants. Ceux-cy nous font à croire qu’ils en ont grand regret et remors au dedans. Mais d’amendement et correction, ny d’interruption, ils ne nous en font rien apparoir. Si n’est-ce pas guerison si on ne se descharge du mal. Si la repentance pesoit sur le plat de la balance, elle