Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me viennent taster et bruire au dedans, avantcoureus de la tempeste : animus, multo antequam opprimatur, quatitur.

xxxxxxxxxxxxxxxx ceu flamina prima
Cum deprensa fremunt sylvis, et caeca volutant
Murmura, venturos nautis prodentia ventos.

A combien de fois me suis-je faict une bien evidente injustice, pour fuir le hazard de la recepvoir encore pire des juges, apres un siecle d’ennuys et d’ordes et viles pratiques, plus ennemies de mon naturel que n’est la geine et le feu ? Convenit à litibus quantum licet, et nescio an paulo plus etiam quàm licet, abhorrentem esse. Est enim non modo liberale, paululum nonnunquam de suo jure decedere, sed interdum etiam fructuosum. Si nous estions bien sages nous nous devrions rejouir et venter, ainsi que j’ouy un jour bien naïvement un enfant de grande maison faire feste à chacun de quoy sa mere venoit de perdre son proces, comme sa toux, sa fiebvre ou autre chose d’importune garde. Les faveurs mesmes que la fortune pouvoit m’avoir donné, parentez et accointances envers ceux qui ont souveraine authorité en ces choses là, j’ay beaucoup faict selon ma conscience de fuir instamment de les employer au prejudice d’autruy et à ne monter par dessus leur droicte valeur mes droicts. Enfin j’ay tant faict par mes journées, à la bonne heure le puisse-je dire, que me voicy encore vierge de procés, qui n’ont pas laissé de se convier à plusieurs fois à mon service par bien juste titre, si j’eusse voulu y entendre, et vierge de querelles. J’ay sans offence de pois, passive ou active, escoulé tantost une longue vie, et sans avoir ouy pis que mon nom ; rare grace du ciel. Nos plus grandes agitations ont des ressorts et causes ridicules. Combien encourut de ruyne nostre dernier Duc de Bourgongne pour la querelle d’une charretée de peaux de mouton ? Et l’engraveure d’un cachet, fut-ce pas la premiere et maistresse cause du plus horrible crollement que cette machine aye onques souffert ? Car Pompeius et Caesar, ce ne sont que les rejettons et la suitte des deux autres. Et j’ay veu de mon temps les plus sages testes de ce Royaume assemblées, avec grande ceremonie et publique despence, pour des traictez et accords, desquels la vraye decision despendoit ce pendant en toute souveraineté des devis du cabinet des dames et inclination de quelque fammelette. Les poetes ont bien entendu cela, qui ont mis pour une pomme la Grece et l’Asie à feu et à sang. Regardez pourquoy celuy-là s’en va courre fortune de son honneur et de sa vie, à tout son espée et son poignart ; qu’il vous die d’où vient la source de ce debat, il ne le peut faire sans rougir, tant l’occasion en est frivole. A l’enfourner il n’y va que d’un peu d’avisement ; mais, depuis que vous estes embarqué, toutes les cordes tirent. Il y