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guieres les tordre de leur ply accoustumé que nous ne rompons tout. On demandoit à Solon s’il avoit estably les meilleures loys qu’il avoit peu aux Atheniens : Ouy bien, respondit-il, de celles qu’ils eussent receues. Varro s’excuse de pareil air : que s’il avoit tout de nouveau à escrire de la religion, il diroit ce qu’il en croid, mais, estant desjà receue et formée, il en dira selon l’usage plus que selon la nature. Non par opinion mais en verité, l’excellente et meilleure police est à chacune nation celle soubs laquelle elle s’est maintenue. Sa forme et commodité essentielle despend de l’usage. Nous nous desplaisons volontiers de la condition presente. Mais je tiens pourtant que d’aller desirant le commandement de peu en un estat populaire, ou en la monarchie une autre espece de gouvernement, c’est vice et folie.

Ayme l’estat tel que tu le vois estre :
S’il est royal, ayme la royauté ;
S’il est de peu, ou bien communauté,
Ayme l’aussi, car Dieu t’y a faict naistre.

Le bon monsieur de Pibrac que nous venons de perdre : un esprit si gentil, les opinions si saines, les meurs si douces. Cette perte, et celle qu’en mesme temps nous avons faicte de monsieur de Foix, sont pertes importantes à nostre couronne. Je ne sçay s’il reste à la France dequoy substituer un autre coupple pareil à ces deux gascons en syncerité et en suffisance pour le conseil de nos Roys. C’estoyent ames diversement belles et certes, selon le siecle, rares et belles, chacune en sa forme. Mais qui les avoit logées en cet aage, si disconvenables et si disproportionnées à nostre corruption et à nos tempestes ? Rien ne presse un estat que l’innovation : le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. Quand quelque piece se démanche on peut l’estayer : on peut s’opposer à ce que l’alteration et corruption naturelle à toutes choses ne nous esloingne trop de nos commencemens et principes. Mais d’entreprendre à refondre une si grande masse