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Stoiciens, mais encore Epicuriens (et ceste enchere je l’emprunte de l’opinion commune, qui est fauce, quoy que die ce subtil rencontre d’Arcesilaüs, à celuy qui luy reprochoit, que beaucoup de gents passoient de son eschole en l’Epicurienne, et jamais au rebours : Je croy bien. Des coqs il se fait des chappons assez, mais des chappons il ne s’en fait jamais des coqs. Car à la verité en fermeté et rigueur d’opinions et de preceptes, la secte Epicurienne ne cede aucunement à la Stoique. Et un Stoicien reconnoissant meilleure foy, que ces disputateurs, qui pour combattre Epicurus, et se donner beau jeu, luy font dire ce à quoy il ne pensa jamais, contournans ses paroles à gauche, argumentans par la loy grammairienne, autre sens de sa façon de parler, et autre creance, que celle qu’ils sçavent qu’il avoit en l’ame, et en ses mœurs, dit qu’il a laissé d’estre Epicurien, pour cette consideration entre autres, qu’il trouve leur route trop hautaine et inaccessible : et ii qui φιλήδονοι vocantur, sunt φιλόχαλοι et φιλοδίκαιοι, omnesque virtutes et colunt et retinent.) des philosophes Stoiciens et Epicuriens, dis-je, il y en a plusieurs qui ont jugé, que ce n’estoit pas assez d’avoir l’ame en bonne assiette, bien reglée et bien disposée à la vertu : ce n’estoit pas assez d’avoir nos resolutions et nos discours, au dessus de tous les efforts de fortune : mais qu’il falloit encore rechercher les occasions d’en venir à la preuve : ils veulent quester de la douleur, de la necessité, et du mespris, pour les combattre, et pour tenir leur ame en haleine : multum sibi adjicit virtus lacessita. C’est l’une des raisons, pourquoy Epaminondas, qui estoit encore d’une tierce secte, refuse des richesses que la fortune luy met en main, par une voye tres-legitime : pour avoir, dit-il, à s’escrimer contre la pauvreté, en laquelle extreme il se maintint tousjours. Socrates s’essayoit, ce me semble, encor plus rudement, conservant pour son exercice, la malignité de sa femme, qui est un essay à fer esmoulu. Metellus ayant seul de tous les Senateurs Romains entrepris par l’effort de sa vertu, de soustenir la violence de Saturninus Tribun du peuple à Rome, qui vouloit à toute force faire passer une loy injuste, en faveur de la commune : et ayant encouru par là, les peines capitales que Saturninus avoit establies contre les refusans, entretenoit ceux, qui en cette extremité, le conduisoient en la place