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ny excusable ; nullum scelus rationem habet) accommodons leur vie raisonnablement, de ce qui est en nostre puissance. Pour cela, il ne nous faudroit pas marier si jeunes que nostre aage vienne quasi à se confondre avec le leur : Car cet inconvenient nous jette à plusieurs grandes difficultez. Je dy specialement à la noblesse, qui est d’une condition oysifve, et qui ne vit, comme on dit, que de ses rentes : car ailleurs, où la vie est questuaire, la pluralité et compagnie des enfans, c’est un agencement de mesnage, ce sont autant de nouveaux utils et instrumens à s’enrichir.

Je me mariay à trente trois ans, et louë l’opinion de trente cinq, qu’on dit estre d’Aristote. Platon ne veut pas qu’on se marie avant les trente : mais il a raison de se mocquer de ceux qui font les œuvres de mariage apres cinquante cinq : et condamne leur engeance indigne d’aliment et de vie.

Thales y donna les plus vrayes bornes : qui jeune, respondit à sa mere le pressant de se marier, qu’il n’estoit pas temps : et, devenu sur l’aage, qu’il n’estoit plus temps. Il faut refuser l’opportunité à toute action importune.

Les anciens Gaulois estimoient à extreme reproche d’avoir eu accointance de femme, avant l’aage de vingt ans : et recommandoient singulierement aux hommes, qui se vouloient dresser pour la guerre, de conserver bien avant en l’aage leur pucellage ; d’autant que les courages s’amollissent et divertissent par l’accouplage des femmes.

Ma hor congiunto à giovinetta sposa,
Lieto homai de’ figli era invilito
Ne gli affetti di padre et di marito.

Muleasses Roy de Thunes, celuy que l’Empereur Charles cinquiesme remit en ses estats, reprochoit la memoire de Mahomet son pere, de sa hantise avec les femmes, l’appellant brode, effeminé, engendreur d’enfants.

L’histoire Grecque remarque de Jecus Tarentin, de Chryso, d’Astylus, de Diopopus, et d’autres, que pour maintenir leurs corps fermes au service de la course des jeux Olympiques, de la Palæstrine, et tels exercices, ils se priverent autant que leur dura ce soing, de toute sorte d’acte Venerien.

En certaine contrée des Indes Espagnolles, on ne permettoit aux hommes de se marier, qu’apres quarante ans, et si le permettoit-on aux filles à dix ans.

Un gentil-homme qui a trente cinq ans, il n’est pas temps qu’il face place à son fils qui en a vingt : il est luy-mesme au train de paroistre et aux voyages des guerres, et en la cour de son Prince : il a besoin de ses pieces ; et en doit certainement faire part, mais telle part, qu’il ne s’oublie pas pour autruy. Et à celuy-là peut servir justement cette responce que les peres ont ordinairement en la bouche : Je ne me veux pas despouiller devant que de m’aller coucher.

Mais un pere atterré d’années et de maux, privé par sa foiblesse et faute de santé, de la commune societé des hommes, il se faict tort, et aux siens, de couver inutilement un grand tas de richesses. Il est assez en estat, s’il est sage, pour avoir desir de se