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d’Hannibal ne nous l’auroit apris, il a esté le premier des hommes ; les rares beautez et conditions de sa personne jusques au miracle ; ce port et ce venerable maintien soubs un visage si jeune, vermeil et flamboyant ;

Quem Venus ante alios astrorum diligit ignes,
Extulit os sacrum coelo, tenebrasque resolvit ;

l’excellence de son sçavoir et capacité ; la durée et grandeur de sa gloire, pure, nette, exempte de tache et d’envie ; et qu’encore long temps apres sa mort ce fut une religieuse croyance d’estimer que ses medailles portassent bon-heur à ceux qui les avoyent sur eux ; et que plus de Roys et Princes ont escrit ses gestes qu’autres Historiens n’ont escrit les gestes d’autre Roy ou Prince que ce soit, et qu’encore à present les Mahumetans, qui mesprisent toutes autres histoires, reçoivent et honnorent la sienne seule par special priviliege : il confessera, tout cela mis ensemble, que j’ay eu raison de le preferer à Caesar mesme, qui seul m’a peu mettre en doubte du chois. Et il ne se peut nier qu’il n’y aye plus du sien en ses exploits, plus de la fortune en ceux d’Alexandre. Ils ont eu plusieurs choses esgales, et Caesar à l’adventure aucunes plus grandes. Ce furent deux feux ou deux torrens a ravager le monde par divers endroits,

Et velut immissi diversis partibus ignes
Arentem in silvam et virgulta sonantia lauro,
Aut ubi decursu rapido de montibus altis
Dant sonitum spumosi amnes et in aequora currunt,
Quisque suum populatus iter.

Mais quand l’ambition de Caesar auroit de soy plus de moderation, elle a tant de mal’heur, ayant rencontré ce vilain subject de la ruyne de son pays et de l’empirement universel du monde, que toutes pieces ramassées et mises en la balance, je ne puis que je ne panche du costé d’Alexandre. Le tiers et le plus excellent, à mon gré, c’est Epaminondas. De gloire, il n’en