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batailles : car Lisander ne gaigna seulement que deux batailles navales, etc. Cela, ce n’est rien desrober aux Romains : pour les avoir simplement presentez aux Grecs, il ne leur peut avoir fait injure, quelque disparité qui y puisse estre ; et Plutarque ne les contrepoise pas entiers ; il n’y a en gros aucune preference : il apparie les pieces et les circonstances, l’une apres l’autre, et les juge separément. Parquoy, si on le vouloit convaincre de faveur, il falloit en esplucher quelque jugement particulier, ou dire en general qu’il auroit failly d’assortir tel Grec à tel Romain : d’autant qu’il y en auroit d’autres plus correspondans pour les apparier, et se rapportans mieux.


L’histoire de Spurina
Chap. XXXIII.



LA philosophie ne pense pas avoir mal employé ses moyens quand elle a rendu à la raison la souveraine maistrise de nostre ame et l’authorité de tenir en bride nos appetits. Entre lesquels ceux qui jugent qu’il n’en y a point de plus violens que ceux que l’amour engendre, ont cela pour leur opinion, qu’ils tiennent au corps et à l’ame, et que tout l’homme en est possedé : en maniere que la santé mesme en depend, et est la medecine par fois contrainte de leur servir de maquerellage. Mais, au contraire, on pourroit aussi dire que le meslange du corps y apporte du rabais et de l’affoiblissement : car tels desirs sont subjects à satieté et capables de remedes materiels. Plusieurs, ayans voulu delivrer leurs ames des alarmes continuelles que leur donnoit cet appetit, se sont servis d’incision et destranchement des parties esmeues et alterées. D’autres en ont du tout abatu la force et l’ardeur par frequente application de choses froides, comme de neige et de vinaigre. Les haires de nos aieuls estoient de cet usage ; c’est une matiere tissue de poil de cheval, dequoy les uns d’entr’eux faisoient des chemises, et d’autres des ceintures à geéner leurs