Que le Goust des Biens et des Maux Depend en Bonne Partie de l’Opinion que Nous en Avons.
Chap. XIIII.
Es hommes (dit une sentence Grecque ancienne)
sont tourmentez par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mesmes. Il y auroit un grand poinct gaigné pour le soulagement
de nostre miserable condition humaine, qui pourroit establir cette
proposition vraye tout par tout. Car si les maux n’ont entrée en
nous
que par nostre jugement, il semble qu’il soit en nostre pouvoir de
les
mespriser ou contourner à bien. Si les choses se rendent à nostre
mercy, pourquoy n’en chevirons nous, ou ne les accommoderons nous à
nostre advantage ? Si ce que nous appellons mal et tourment n’est ny
mal ny tourment de soy, ains seulement que nostre fantasie luy donne
cette qualité, il est en nous de la changer. Et en ayant le choix,
si
nul ne nous force, nous sommes estrangement fols
de nous bander pour le party qui nous est le plus ennuyeux, et de
donner aux maladies, à l’indigence et au mespris un aigre et mauvais
goust, si nous le leur pouvons donner bon, et si la fortune
fournissant
simplement de matiere c’est à nous de luy donner la forme. Or que
ce
que nous appellons mal ne le soit pas de soy, ou au moins, tel qu’il
soit, qu’il depende de nous de luy donner autre saveur, et autre
visage,
car tout revient à un, voyons s’il se peut maintenir. Si l’estre
originel de ces choses que nous craignons, avoit credit de se loger en
nous de son authorité, il logeroit pareil et semblable en tous : car
les hommes sont tous d’une espece, et sauf le plus et le moins, se
trouvent garnis de pareils outils et instrumens pour concevoir et juger.
Mais la diversité des opinions que nous avons de ces choses là
montre clerement qu’elles n’entrent en nous que par composition : tel
à
l’adventure les loge chez soy en leur vray estre, mais mille