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Voyant déjà, ce vaillant amoureux,
Que l’eau maîtreſſe à ſon plaiſir le tourne :
Parlant aux flots, leur jeta cette voix :
Pardonnez-moi maintenant que j’y vais,
Et gardez-moi la mort, quand je retourne.

XIV.

</poem>Ô cœur léger, oſ courage mal sûr, Penſes-tu plus que ſouffrir je te puiſſe ? Ô bonté creuſe, oſ couverte malice, Traître beauté, venimeuſe douceur. Tu étais donc toujours sœur de ta sœur ? Et moy trop ſimple il falloit que j’en fiſſe L’eſſai ſur moy ? Et que tard j’entendiſſe Ton parler double & tes chants de chaſſeur ? Depuis le jour que j’ai pris à t’aimer, J’euſſe vaincu les vagues de la mer. Qu’eſt-ce aujourd’hui que je pourrais attendre ? Comment de toy pourrais-je eſtre content ? Qui apprendra ton cœur d’eſtre conſtant, Puiſque le mien ne le luy peut apprendre ? </poem>

XV.

Ce n’eſt pas moy que l’on abuſe ainſi :
Qu’à quelque enfant ſes ruſes on emploie,
Qui n’a nul goût, qui n’entend rien qu’il oie :
Je ſais aimer, je ſais hair auſſi.
Contente-toy de m’avoir juſqu’icy
Fermé les yeux, il eſt temps que j’y voie :
Et qu’aujourd’hui, las & honteux je ſoys
D’avoir mal mis mon temps & mon ſouci,
Oſerais-tu m’ayant ainſi traité
Parler à moy jamais de fermeté ?
Tu prends plaiſir à ma douleur extreſme.