De l’institution des enfans, à Madame Diane de Foix,
Contesse de Gurson.
Chap. XXVI.
E ne vis jamais pere, pour teigneux ou bossé que fut son
fils, qui laissast de l’avouer. Non pourtant, s’il n’est du tout
enyvré de cet’ affection, qu’il ne s’aperçoive de sa defaillance ;
mais tant y a qu’il
est sien. Aussi moy, je voy, mieux que tout autre, que ce ne sont
icy
que resveries d’homme qui n’a gousté des sciences que la crouste
premiere, en son enfance, et n’en a retenu qu’un general et informe
visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, à la Françoise.
Car, en somme, je sçay qu’il y a une Medecine, une Jurisprudence,
quatre parties en la Mathematique, et grossierement ce à quoy elles
visent.
Et à l’adventure encore sçay-je la pretention des sciences en
general au service de nostre vie.
Mais, d’y enfoncer plus avant, de m’estre rongé les ongles à
l’estude d’Aristote,
monarque de la doctrine
moderne, ou opiniatré apres quelque science, je ne l’ay jamais faict ;
ny n’est art dequoy je sceusse peindre seulement les premiers lineamens.
Et n’est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus
sçavant que moy, qui n’ay seulement pas dequoy l’examiner sur sa
premiere leçon : au moins selon icelle. Et, si l’on m’y force, je
suis
contraint, assez ineptement, d’en tirer quelque matiere de propos
universel, sur quoy j’examine son jugement naturel : leçon qui leur
est
autant incognue, comme à moy la leur. Je n’ay dressé commerce avec
aucun livre solide, sinon Plutarque et Seneque, où je puyse comme
les Danaïdes, remplissant et versant sans cesse. J’en attache
quelque chose à ce papier ; à moy, si peu que rien.
L’Histoire, c’est plus mon gibier, ou la poesie, que j’ayme d’une
particuliere inclination. Car, comme disoit Cleantes, tout ainsi que
la voix, contrainte dans l’étroit canal d’une trompette, sort plus
aigue et plus forte, ainsi me semble il que la sentence, pressée aux
pieds nombreux de la poesie, s’eslance bien plus brusquement et me
fiert d’une plus vive secousse. Quant aux facultez naturelles qui sont
en moy, dequoy c’est icy l’essay, je les sens flechir sous la charge.
Mes conceptions et mon jugement ne marche qu’à tastons, chancelant,
bronchant et chopant ; et, quand je suis allé le plus avant que je
puis,
si ne me suis-je aucunement satisfaict : je voy encore du païs
au delà,
mais d’une veue trouble et en nuage, que je ne puis desmeler. Et,
entreprenant de parler indifferemment de tout ce qui se presente à ma
fantasie et n’y employant que mes propres et naturels moyens, s’il
m’advient, comme il faict souvent, de rencontrer de fortune