resolution, ils ont voulu d’arrivée
mettre leurs enfans au propre des effects, et les instruire, non par
ouïr dire, mais par l’essay de l’action, en les formant et moulant
vifvement, non seulement de preceptes et parolles, mais principalement
d’exemples et d’œuvres, afin que ce ne fut pas une science en
leur ame, mais sa complexion et habitude ; que ce ne fut pas un acquest,
mais une naturelle possession. A ce propos, on demandoit à
Agesilaus
ce qu’il seroit d’advis que les enfans apprinsent : Ce qu’ils doivent
faire estants hommes, respondit-il. Ce n’est pas merveille si une
telle institution a produit des effects si admirables. On alloit,
dict-on, aux autres Villes de Grece chercher des Rhetoriciens, des
peintres et des Musiciens ; mais en Lacedemone des legislateurs, des
magistrats et empereurs d’armée. A Athenes on aprenoit à bien dire,
et icy, à bien faire ; là, à se desmeler d’un argument sophistique,
et à rabattre l’imposture des mots captieusement entrelassez ; icy, à
se desmeler des appats de la volupté, et à rabatre d’un grand courage
les menasses de la fortune et de la mort ; ceux-là s’embesongnoient
apres les parolles ; ceux-cy, apres les choses ; là, c’estoit une
continuelle exercitation de la langue ; icy, une continuelle
exercitation de l’ame. Parquoy il n’est pas estrange si, Antipater
leur demandant cinquante enfans pour ostages, ils respondirent, tout
au
rebours de ce que nous ferions, qu’ils aymoient mieux donner deux fois
autant d’hommes faicts, tant ils estimoient la perte de l’education de
leur païs. Quand Agesilaus, convie Xenophon d’envoyer nourrir ses
enfans à Sparte, ce n’est pas pour y apprendre la Rhetorique ou
Dialectique, mais pour apprendre ( ce dict-il) la plus belle science
qui soit : asçavoir la science d’obeïr et de commander.
Il est tres-plaisant de voir Socrates, à sa mode, se moquant de
Hippias qui luy recite comment il a gaigné, specialement en
certaines
petites villettes de la Sicile, bonne somme d’argent à regenter ; et
qu’à Sparte il n’a gaigné pas un sol : que ce sont gents idiots, qui
ne sçavent ny mesurer ny compter, ne font estat ny de grammaire ny de
rythme, s’amusant seulement à sçavoir la suitte des Roys,
establissemens et decadences des Estats, et tels fatras de comptes.
Et au bout de cela Socrates, luy faisant advouer par le menu
l’excellence de leur forme de gouvernement publique, l’heur et vertu
de
leur vie, luy laisse deviner la conclusion de l’inutilité de ses arts.
Les exemples nous apprennent, et en cette martiale police et en
toutes
ses semblables, que l’estude des sciences amollit et effemine les
courages, plus qu’il ne les fermit et aguerrit. Le plus fort Estat
qui paroisse pour le present au monde, est celuy des Turcs : peuples
egalement duicts à l’estimation des armes et mespris des lettres. Je
trouve Rome plus vaillante avant qu’elle fust sçavante. Les plus
belliqueuses nations en nos jours sont les plus grossieres et
ignorantes. Les Scythes, les Parthes, Tamburlan nous servent à
cette preuve. Quand les Gots ravagerent la Grece, ce qui sauva
toutes les librairies d’estre passées au feu, ce fut un
d’entre eux qui sema cette opinion, qu’il faloit laisser ce meuble
entier aux ennemis, propre à les destourner de l’exercice militaire
et
amuser à des occupations sedentaires et oysives. Quand nostre Roy
Charles huictieme, sans tirer l’espée du fourreau, se veid maistre du
Royaume de Naples et d’une bonne partie de la Toscane, les seigneurs
de sa suite attribuerent cette inesperée facilité de conqueste à ce
que les princes et la noblesse d’Italie s’amusoient plus à se rendre
ingenieux et sçavants que vigoureux et guerriers.