Tout en se sachant fiévreusement attendu, l’industriel tardait volontairement et se demandait avec épouvante ce qu’il allait répondre aux questions de sa fille. Enfin, à six heures et demie, il lui fallut rentrer. Il monta à l’appartement de Mary. La jeune fille courut à sa rencontre et lui sauta au cou.
« Je vois que cela va bien ! lui dit-il.
– Oh ! tout à fait bien, père. Mais toi, père, qu’as-tu fait ? M’apportes-tu la joie, l’espérance ?
– Oui, chère enfant, je t’apporte l’espérance.
– Tu as dit à Lucien que je l’aimais ?
– Peste ! Comme tu y vas !
– Sans froisser les convenances, tu pourrais faire comprendre à M. Lucien qu’une demande serait bien accueillie.
– J’ai résumé brièvement notre conversation chez Georges Darier au sujet des terrains d’Alfortville, et j’ai ajouté : « L’usine bâtie sur ces terrains sera la dot de ma fille. » On ne pouvait mieux dire, n’est-ce pas ?
– Impossible ! Qu’a répondu M. Lucien ?
– Lucien Labroue est un jeune homme plein de délicatesse. Il regardait la possibilité d’une association et d’une alliance comme incompatible avec la modestie de sa situation.
– Enfin, a-t-il accepté ? demanda Mary.
– Il accepte… mais avec cette délicatesse dont je parlais à l’instant, il a mis à son assentiment une condition. Il a inventé une machine fort ingénieuse qui peut et doit rapporter beaucoup d’argent. Il désire, avant de donner suite à nos projets, réaliser l’invention dont il s’agit. Ce sera son apport dans la communauté, et ainsi son amour-propre n’aura point à souffrir. »
Rien n’était plus vraisemblable. Mary ne pouvait soupçonner et ne soupçonna point un mensonge.
« Sa résolution est d’une âme noble, répondit-elle ; je la comprends et je l’approuve. Mais il est une chose dont tu ne m’as point parlé… Lucien m’aime-t-il ? »
La question était singulièrement embarrassante pour le faux Paul Harmant. Elle le forçait à mentir encore, s’il ne voulait briser le cœur de sa fille.