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génies avortés, — des romanciers aux abois, — des novateurs usés jusqu’à la corde, — des copistes, des plagiaires, — des bandits qui écrivaient pour vivre. Il était sans pitié, il était furieux, à ce point qu’il fallait nécessairement que ses victimes fussent enfermées aux Petites-Maisons, ou que lui-même il y fût enfermé. Ce fut lui[2].

« … Dans les désordres de sa pensée, il avait des naïvetés charmantes. C’est lui qui m’écrivait : — Vous avez parlé avec tant de tendresse de notre ami ٭٭٭. C’est une injustice, il n’est pas si fou que moi ! »

Il n’en a guère été écrit plus long, je crois sur la vie et la mort de Lassailly. Cette figure incertaine, cet esprit disséminé, contrariant, trop irrésolument fantasque ; cette plume fatiguée avant d’avoir tracé son premier mot, ce poète toujours en guerre avec lui-même, n’était pas d’ailleurs d’un si grand poids dans la balance littéraire. Heureux est-il encore d’avoir pu arracher à l’indifférence de la critique ces quelques lignes d’épitaphe !

Si pourtant l’on rue demande d’où me vient cette sympathie pour ces inconnus, ces oubliés, ces dédaignés, et pourquoi je m’attache à reconstruire leur œuvre d’égarement, tandis qu’il y a autour de moi tant d’écrivains corrects et sérieux, tant de professeurs traduisant Perse et Juvénal, tant de gens d’étude, universitaires et autres, qui s’accommoderaient si parfaitement d’un peu de publicité ; — je répondrai, d’abord, que je n’aime donner qu’aux infiniment pauvres, ensuite que la compassion littéraire porte en elle-même son pourquoi, et qu’il suffit d’avoir un peu de talent et beaucoup de malheur pour m’attirer ; toutes raisons excellentes. Mais les vrais bibliophiles ne me feront jamais de questions semblables : rassurons-moi.

Et puis, il me semble que l’histoire des gens presque inconnus doit avoir pour beaucoup de lecteurs l’attrait du roman ; — tout l’invraisemblable dans le vrai, songez-y ! Un nom sans